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finaud qui me réconforta. Sur la route, il me chuchota :

— À présent, on peut revenir dans le pays… Un lit, t’entends, et de quoi manger pour tous les deux. Ni vu, ni connu, j’ t’embrouille.

J’en oubliai ma nuit grelottante et mon ventre creux. Un lit, une table !… Ah ! celui-là au moins, c’était un débrouillard.

Cette réputation de débrouillard, Maroux l’eut bientôt dans tout le régiment, et je crois qu’il la devait surtout à sa façon de cligner de l’œil et à sa démarche de braconnier inquiet, le cou tendu, le pas étouffé, comme s’il avait espéré constamment surprendre un lièvre au gîte.

Parfois, sous le gourbi, il nous racontait en quelques mots brefs d’étonnantes histoires de contrebande — avec des chiens féroces, des voitures au galop, des gabelous assommés — qui donnaient le frisson aux chevronnés de Tahure. Et puis, on se répétait l’histoire de la source et l’on ne savait plus, parmi dix versions différentes, bien que toutes fausses, si l’eau avait jailli ou non sous sa baguette de coudrier.

Il avait aussi une manière étonnante de regarder au loin, la main en visière, comme un matelot sur le môle, et bien qu’il ne dît jamais à personne ce qu’il découvrait, tout le monde était convaincu qu’il voyait au diable.

En ligne, quand un guetteur croyait découvrir chez les Fritz un mouvement suspect, c’était Maroux qu’on allait consulter.

— Hé ! vieux… Tu ne vois rien de drôle dans la tranchée du ruisseau ?