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maigre, ne semblait pas atteint par l’accablement général. Assis sur son sac, ses rudes sourcils froncés, il taillait, une fine baguette avec un énorme coutelas au manche de corne :

— Tu n’as pas soif ? lui demandai-je, la bouche râpeuse.

— Jamais, me répondit-il brièvement.

Et, tirant la langue, il me montra un caillou blanc qu’il suçait comme un inusable bonbon. Puis se levant, il ajouta :

— Je vais chercher de l’eau.

Il ne prit ni seau ni bidons, il prit seulement sa baguette, et tout en arpentant le champ d’un pas égal, il se mit à la faire tournoyer très vite entre ses lourdes mains. Je pensai tout de suite : « Un sourcier », et redressé sur un coude, émerveillé, prêt au miracle, j’oubliais ma soif.

Il n’y avait pas plus d’eau dans ce champ rocailleux que dans un tombereau de sable, mais la mine du camarade, ses yeux fixes, ses traits durs de paysan, sa démarche même m’en imposaient si bien que je m’attendais presque à voir jaillir une source de ce désert, comme jadis les Hébreux de Moïse.

Après avoir traversé le champ en tous sens, être allé, venu, s’être agenouillé ici et là, sans se soucier des brocards, il s’arrêta enfin à quelques pas de moi, encadré de quelques copains éberlués ou railleurs qui échangeaient de libres appréciations « sur l’autre gueule en biais qu’en avait reçu un coup sérieux sur l’ caberlot », et il dit en tapant la terre du talon :

— On n’a, qu’à creuser là… il y a de l’eau.