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un mitrailleur regarde l’heure à son poignet et bougonne :

— Ça ne tourne pas, c’te nuit…

La torpeur envahit les plus las, les dos se voûtent et, la tête tombée, ils semblent guetter encore de leurs yeux que le sommeil brouille.

Quelques coups de fusil — visions de sentinelles — parfois un obus, sur les deuxièmes lignes. Et l’écho désœuvré répète longtemps ces bruits perdus.

Mon voisin s’est rapproché. C’est un nouveau, je ne le connais pas.

— Quelle heure ?

— Minuit vingt.

Il se tait un instant, accoudé près de moi. Puis :

— On serait mieux aux bains de mer.

— Je pense.

— J’arrive du dépôt, après une convalo. Ça semble dur de reprendre… J’avais été blessé dans le début.

— C’était grave comme blessure ?

Il me regarde. Un rire silencieux s’élargit dans la lucarne de son passe-montagne.

— C’était marrant surtout… Maintenant, hein, j’en rigole, mais après la guerre, si je le raconte, on se foutra de moi. Faudra que j’invente quelque chose de mieux, un petit bourrage tsoin-tsoin pour en mettre plein la vue au monde.

Intrigué, je lui demande :

— Qu’est-ce que tu as eu ?

Il prend un temps, comme au théâtre.