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Sur la présentation d’une langue qu’on eût dite passée à la craie comme une queue de billard on le garda à l’infirmerie. Il y goûta quatre jours de bonheur parfait, entre un fiévreux qui empestait et un asthmatique qui lui toussait dans le nez, mais, malgré tout, épanoui à la pensée que « Noisard ne l’aurait pas ».

Le dimanche matin, voulant jouir de son succès, il revint guéri au cantonnement, exhibant orgueilleusement une chevelure de ténorino, au beau toupet cosmétiqué. Le premier admirateur qu’il rencontra fut précisément l’adjudant.

— Ah ! vous voilà, éclata le sous-officier. Eh bien ! si vous ne vous présentez pas demain matin sur les rangs avec les cheveux à l’ordonnance, je vous fiche dedans.

— Pardon, mon adjudant, répliqua Lousteau avec aplomb. Je suis obligé de garder mes cheveux à cause que c’est pour m’empêcher d’prendre froid. C’est le major qui me l’a dit. Même que c’est pour ça qu’il m’a gardé quatre jours.

Comme il fallait s’y attendre, Noisard courut d’une traite à l’infirmerie pour se renseigner et quand Lousteau se présenta de nouveau à la visite, avec un visage de circonstance, pour raconter d’une voix geignarde son histoire de rhume et de cheveux, le major averti le jeta dehors sans égard, en portant sur le cahier : « Consultation non motivée », ce qui valait deux jours de prison, au tarif de la compagnie.

Après cela, Lousteau n’avait plus qu’à céder ; mais il y avait son honneur d’homme, son diable d’honneur qui était en jeu, et au lieu de se faire