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des jambières vernies, un képi de grande tenue, et il nous passait en revue, heureux de se croire encore à la caserne, sa vie civile à lui.

Tel qu’il était, nous le préférions encore à Noisard, adjudant d’active, dont la méchanceté tenace nous harcelait. On pouvait s’expliquer avec le capitaine : il suffisait de s’arrêter à trois pas, en faisant claquer les talons, et de parler peu, en se tenant au garde à vous. Malheureusement les requêtes qu’on lui présentait avaient peu de chances d’être admises. À un homme qui réclamait vainement au bureau dix-sept francs de remboursement pour une paire de chaussures, il répondait, cassant :

— Avec dix-sept francs on achète un obus : c’est peut-être celui qui tuera Guillaume… Rompez !

Il ignorait l’injustice et ne favorisait personne. Il punissait non par goût, mais par devoir, d’après un règlement révélé qu’il portait dans le cœur. Je ne l’ai jamais vu bon, il ne se croyait pas méchant, et, depuis, lorsque j’entends parler de discipline, je me la représente toujours très maigre, tout en jambes, avec une culotte rouge et des favoris noirs.

C’est le respect du règlement qui empêcha le capitaine de m’ordonner, dès mon arrivée, de porter la moustache : il n’était pas bien sûr, en effet, d’être dans son droit. Mais il faisait rechercher par le sergent-major — qui promenait ses archives, depuis Charleroi, dans une caisse à savon — la note, l’ordre du grand quartier ou le décret condamnant l’homme de troupe à garder