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Cette façon sévère de juger les artistes n’était d’ailleurs pas personnelle à notre capitaine et tous ceux qui ont eu l’avantage de faire campagne en qualité de soldat de 2e classe ont pu observer que, dans l’armée, les artistes n’étaient généralement pas tenus en grande estime.

Ou bien ils tombaient sur des Tracasse ne comprenant que le service, qui les prenaient pour des manières d’anarchistes, ou bien ils tombaient sur de bons garçons qui les regardaient comme des gobe-mouches, des amuseurs, et souriaient indulgemment dès qu’ils les apercevaient, s’attendant toujours à entendre une bonne blague ou à les voir exécuter sous leurs yeux un tour de société. Ceux-ci, généralement, leur offraient une petite place d’agent de liaison, et le « rigolo » malgré lui pouvait espérer passer quelques mois tranquille jusqu’au jour où, son chef tué ou évacué, il en arriverait un autre qui n’aimerait pas les farceurs et relèverait le poète pour prendre un terrassier.

Aux yeux du capitaine Tarasse, le soldat idéal était celui qui se taisait : le soldat-baliveau.

Il n’était pas méchant, mais pire : il était service. Plusieurs mois de guerre ne l’avaient pas changé et il restait au front ce qu’il était au quartier : un officier rigide qui voulait être craint et non pas être aimé.

Maigre, haut sur jambes, sa longue figure cireuse encadrée de courts favoris noirs, il avait une façon de vous dévisager qui démontait les moins timides. Il semblait toujours vous voir pour la première fois. Lorsque nous étions au repos, il retirait de sa cantine sa culotte rouge,