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MON CAPITAINE, MONSIEUR LE CURÉ
ET L’HOMME À LA TÊTE DE VEAU


Le capitaine Tarasse, dit « Tracasse », qui commandait ma compagnie, détestait par-dessus tout la contradiction, l’indépendance d’esprit, la fantaisie et tout ce qui pouvait rappeler de loin ou de près la liberté, forme déguisée de l’insubordination. Un ordre, quel qu’il fût, devait s’exécuter sur-le-champ, sans chercher à comprendre et surtout sans discuter. Demi-tour et rompez…

Il se méfiait des gens trop instruits, qui sont généralement « raisonneurs », et ne faisait exception que pour les instituteurs, déjà pliés à la discipline. Lorsqu’il avait appris qu’un renfort lui avait amené des étudiants, un écrivain, un peintre et un chanteur, il avait dit à l’adjudant, avec une moue :

— Tt ! Tt ! Il faudra m’observer un peu ces hommes-là, Noisard…

Et il nous avait tout de suite regardés de travers, choqué d’en voir deux complètement rasés, sans un brin de moustache, ce qui devait les rendre impropres à jamais faire des « poilus ». Nous étions des intellectuels, donc des fortes têtes, et, dès l’abord, il nous tenait à l’œil, prêt à la réprimande.