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acheté toutes les conserves de la boutique, bu tous les apéritifs des parents et risqué vingt fois d’être ramassé après l’heure par les gendarmes, on réussissait tout juste, avec beaucoup de chance et suffisamment de décision, à embrasser rapidement derrière la porte un cou bronzé qui sentait le savon. Et c’était tout…

Les belles du front étaient vertueuses : elles l’étaient toujours avec le biffin, et vrai, elles n’avaient guère de mérite à nous résister. On ne sait pas comme c’est difficile de plaire aux femelles quand on a une veste déteinte qui vous arrive aux fesses, des molletières effilochées et une cravate réglementaire pour vous endimancher.

— Alors, jamais une aventure au front, pas une amourette, rien ?

— Non, jamais… Ou si, peut-être… Mais c’est si peu de chose, que j’ai bien peur de déchirer ce mince souvenir, rien qu’en ouvrant mon médaillon.

Mon amie : une petite campagnarde que j’avais connue sur les bords de l’Aisne, dans un pauvre village où nous allions au repos. Elle n’était pas vilaine et se croyait jolie, abusée par tous ces soldats qui le lui avaient dit. C’était une nature d’élite, dont le seul rêve était de mal tourner. Elle voulait tout quitter, ses parents, sa chèvre, sa maison, pour aller faire la fête à Paris. Elle n’hésitait que devant le premier pas et comme je n’insistais guère pour le lui faire franchir, notre amour ne se dépensa jamais qu’en paroles choisies.

Paresseusement étendu sur sa brouette rem-