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Haut en couleurs, emporté, candide, un peu braillard, c’était un vrai curé à la Daudet, et je n’ai jamais imaginé autrement celui de Cucugnan. Le brave homme menait sa paroisse au pas cadencé, la faisant manœuvrer à coups de prêche et de harangue, et ceux d’entre nous qui n’allaient pas à la messe par piété y allaient pour entendre ses sermons.

Le dimanche, on lavait en public le linge sale de la paroisse. Toujours indigné, congestionné, furibond, M. le Curé bâclait l’évangile du jour, posait son livre sur la chaire d’un coup de poing et commençait sans préambule à dire à ses ouailles leurs quatre vérités.

— Le fils Théodule Gayet ne sait toujours pas son catéchisme, clamait-il en terrifiant le coin des gosses d’un regard aux sourcils froncés. C’est une honte ! Ses parents devraient y veiller… Je veux que cette semaine il apprenne les Sacrements par cœur, et s’il ne peut pas me les réciter jeudi, je l’interrogerai dimanche à la messe devant tout le monde. Il montera en chaire et c’est lui qui prêchera… Tu entends, Théodule ?

On ne voyait que les grandes oreilles du môme, rouges comme deux tranches de frigo, et, au bas bout de l’église, deux cents bonnes billes de soldats, épanouies d’une joie infinie. Tour à tour, le curé s’en prenait aux hommes qui rentraient saouls, aux commères qui passaient leurs journées à jacasser comme des pies borgnes, au lieu de préparer la soupe ; aux filles perdues qui servaient à boire aux soldats après l’heure et mon-