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avait pas d’amour, qu’il n’y avait pas de femmes au front, pas plus que de beurre à la cuisine roulante ou que de carpettes dans les gourbis. Parfois, sans doute — oh ! bien rarement — on entrevoyait une femme, une vraie femme, qui emportait dans le vent parfumé de sa jupe tous les désirs d’un bataillon. Mais ce jour-là, on pouvait chanter la Capucine :

Y en a chez la voisine,
Mais ça n’est pas pour nous.

Il y avait bien aussi les filles de la ferme, la demoiselle des postes, la coiffeuse, les épicières — toutes les femmes étaient épicières, au front, les autres lavaient le linge — mais comment leur faire tenir un rôle convenable dans un roman d’amour ?

Pourtant, serais-je sincère en me moquant d’elles ?

Rayés des cadres de la vie civile, ne quittant nos tranchées que pour des villages pelés consacrés à l’élevage de maigres volailles et de gosses morveux, je crois bien que nous les trouvions belles.

Leurs jupes, surtout, nous faisaient envie, abondantes, gonflées aux reins comme des sacs de grains, et l’on regardait goulûment leurs lèvres, ouvertes sur un sourire où il manquait des dents. Ces grosses filles, nées pour deux passades brutales de campagne et finir bonnes épouses dans les bras d’un charron, n’étaient pas du tout éblouies de se voir poursuivies par ces