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tembre 1914, où une pluie cinglante chassait sur les routes boueuses notre régiment fourbu, qui venait de se battre à Courcy.

Nous avions traversé sans pause un village endormi et, après une marche cahotante sur un chemin crevé d’ornières, on avait fait halte sur le bord d’un étang obscur, où, des cabanes de branchages avaient poussé comme les huttes d’un village nègre. Aussitôt on s’était rué sur les cagnas et, dans le noir, on se disputait les litières. Les officiers durent crier, pour nous retenir. En tas obscur, la compagnie se reforma.

— J’ai besoin de vingt hommes, nous dit le capitaine, vingt volontaires pour une patrouille avec le sergent Prévost.

Pas une voix ne cria : présent ! Pas une main levée. Les hommes étaient trop las, la pluie tombait trop drue. Surpris, le capitaine insista :

— C’est une patrouille très importante. J’aime mieux ne pas avoir à désigner les hommes. Allons, qui veut en être ?… Il s’agit d’aller occuper, sur la route de Laon, au nez des Boches, le cabaret de la Belle Femme.

Alors, il me sembla que le mot magique réveillait les copains exténués. Un frisson secoua la compagnie.

Le cabaret de la Belle Femme… C’était soudain comme une promesse de chaud bonheur, de repas plantureux, de vaste rigolade. La Belle Femme… Tous les soldats s’étaient rapprochés, alléchés, comme attirés par l’odeur d’un plat. Et d’un seul élan, dans l’obscurité, cinquante voix s’offrirent.