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Oui, cette fois, c’est vrai, le lieutenant vient de sortir sur le perron, et c’est une nouvelle ruée. D’une voix qu’on entend à peine dans le charivari, l’officier demande :

— Reste-t-il des insoumis ou des déserteurs ?

Une clameur lui répond, qui a l’air d’une huée. On rit, on crie « Hou ! hou ! », mais sans colère, pour s’amuser.

— Et les condamnés à mort ? glapit un farceur.

Le lieutenant hausse les épaules et attend qu’un ou deux intéressés se dégagent de la cohue. Narquois, les camarades leur livrent passage.

— Tu débarques de Bruxelles, mon pote ?.. Si tu passes avant nous à Munich, laisse-nous des saucisses…

— Bonjour au kronprinz !

Près de moi, un homme en jaquette me sourit.

— Les premiers seront les derniers, fait-il en s’écartant devant un déserteur.

Tout à l’heure, je l’ai remarqué comme il retirait discrètement sa rosette violette, dont certains avaient l’air de rire.

— Je voudrais bien rejoindre mes anciens élèves, là-bas, me dit-il encore. Je suis professeur.

Dressé sur le bout de ses souliers, cramponné à nos épaules pour se grandir, le gros rougeaud, que la rage garrotte, hurle sa fureur :

— Et nous, alors, qu’est-ce qu’on fout ?

— Tout à l’heure, répond l’officier étourdi par tous ces cris.

— Mais ça fait trois jours qu’on nous répète le même boniment, Est-ce qu’on accepte les engage-