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CHEZ LES ANGES


Un escalier d’attaque fait de sacs à terre éventrés. Des hommes massés, muets, qui attendent. Des ordres qui serpentent, passés de bouche en bouche :

« Faites passer, baïonnette au canon… Faites passer, il est l’heure… »

Un instant encore, immense et bref, dont les cœurs martèlent les secondes, puis un cri rauque, un seul :

« En avant la troisième !… »

Et toujours muets, ils sortent, ils grimpent, ils se poussent, ils courent, le dos courbé, comme s’ils avançaient sous la grêle. Lousteau est dans les premiers, une grenade déjà prête.

Des obus, qui mêlent leur fracas et leurs jets rageurs, piochent autour d’eux. Une mitrailleuse crépite, comme une machine qui coudrait avec des balles. Quelques capotes bleues tombent lourdement, le nez en avant : on dirait qu’ils ont buté.

— Hardi ! On les a…, crie un chef.

Tiens, Lousteau s’arrête. Il fait « hou ! » Ses genoux plient, sa tête tombe en avant, et il s’écrase drôlement, le torse droit, comme s’il s’asseyait en tailleur… Ça y est…