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Nous laissant sommeiller sur le gazon, il avait fureté dans le parc, cherchant des morilles au pied des arbres. À présent, il venait d’imaginer un autre jeu et, couché le long du bassin avec deux camarades, il pêchait des poissons rouges, avec une épingle en hameçon au bout d’un fil et un ver pour appât.

Ils en avaient déjà pris trois, qui frétillaient dans une musette et, maintenant, Lousteau guettait une carpe, qu’on eût dit endormie, entre deux eaux. Insidieusement, il offrait son appât, avançant lentement sa ligne…

— Que faites-vous là ? demanda soudainement une voix.

Le général… D’un seul coup, nous nous étions levés, au garde à vous, les bras tombants.

Personne ne répondit.

— Vous savez bien que c’est défendu d’entrer ici, c’est mon parc, continuait-il de sa voix fatiguée de vieil homme. Qui vous a permis ?…

Mais brusquement, il s’arrêta. Il venait d’apercevoir, dépassant de la musette, une petite queue brillante, qui fouettait l’air.

— Oh ! gémit-il, mes petits poissons… Mes pauvres petits poissons…

Il s’élança, se pencha péniblement, et sortit de la musette les trois poissons rouges, dont deux ne bougeaient déjà plus. Lousteau fit la grimace.

— Oh ! les pauvres petites bêtes, faisait plaintivement le général… Pourquoi leur avoir fait du mal ?… Je ne veux pas qu’on leur fasse de mal, à mes petits poissons rouges… Rejetez-les vite dans l’eau…