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Cela s’est passé comme toutes les attaques : une sanglante bousculade à quoi on ne comprend rien…

À midi, d’abord, une compagnie a tenté un coup de main, le général croyant réussir par surprise. Partis plus de deux cents, ils sont revenus cinquante.

Alors, nous avons attendu la tombée du jour, et nous avons donné, deux bataillons massés, après une courte préparation de 105. Quart d’heure horrible.

Mais pourquoi vouloir arracher ces souvenirs odieux à un cœur qui voudrait oublier, pourquoi s’obliger à cette exhumation ? Je ne veux plus revoir ces heures-là… Je me souviens, pourtant, que tout courant, les dents serrées, je reconnaissais les camarades, couchés sur les muguets. Et stupidement je pensais, la tête bouleversée par les éclatements : « Partie de campagne… partie de campagne… Des provisions… »

On s’est battu jusqu’à la nuit. Un cycliste m’a dit que le général cherchait à suivre notre avance à la lorgnette, de l’autre côté de la rivière. Mais la plupart de nos fusées s’arrêtaient dans les branches, les arbres cachaient les tranchées, les agents de liaison n’arrivaient pas, et l’arrière ne connaissait rien du combat, que les reprises brutales de fusillade soudainement rallumée comme un feu qu’on ranime d’une bourrée