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Nous nous étions empilés dans notre sape, le dos rond, la tête rentrée. Toujours au créneau, Roubion répétait :

— On ne voit rien… on ne voit rien…

Je me souviens qu’un copain, accroupi près du seau de vin, se servit un quart. Lousteau le renversa d’un coup de pied :

— Voleur !

— Quoi ! J’prends juste em’part…

Les 75 s’étaient mis à répondre, toutes les batteries donnant, et c’était un tonnerre infernal, obus français et boches mêlant leurs aiguillées. À ce moment, on vit déboucher du boyau, en galopade, un groupe de visiteurs, le kodak en bandoulière, qui filaient vers l’arrière sans tourner la tête.

— Vite ! criait celui qui les menait… Que chacun rejoigne son poste… Dépêchons-nous…

Derrière eux, à vingt pas, un gros homme s’essoufflait, apoplectique, les tempes ruisselantes. Il courait de toute la vitesse de ses petites jambes et maintenait de la main gauche ses décorations qui sautaient. Le caporal l’arrêta..

— Mais, qu’est-ce que c’est, mon capitaine ?

— Les Boches sont entrés dans la mine en faisant sauter une sape… Ils sont sortis par nos deuxièmes lignes… Il faut que vous attaquiez pour leur reprendre le bois.

Lousteau poussa un cri de fureur.

— Ah ! les v… ! Je l’avais bien dit que les Boches viendraient…