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Ce fut un matin, vers dix heures. Tout nu dans un baquet rempli à la source, Jean de Crécy-Gonzalve, en frissonnant, prenait un tub, et les hommes de soupe, choqués par ces mœurs corrompues, l’injuriaient au passage.

— Cache ça, on va manger.

— Il fait ça pour crâner.

Notre caporal ricanait en dessous, tout en nettoyant sa gamelle avec un vieux journal.

— Quand y cherche ses poux, marmonnait-il, y ne vient pas nous chercher…

La table était déjà mise : une porte d’armoire à glace posée sur quatre pieux. Nous avions également rapporté du village, en fouillant dans les ruines, des assiettes dépareillées, des couverts en ruolz, et une horrible jardinière de porcelaine peinte, que nous avions remplie de muguet.

Assis sur une caisse, la tête renversée, je regardais les taches de soleil que le chêne laissait glisser entre ses doigts. Ah ! le bon secteur, si paisible, avec ses patrouilles sans risque et ses veilles sous bois… Cette large sape, qui menait à notre gourbi, nous servait de salle à manger, et les autres escouades nous enviaient bassement, parlant d’intrigues sournoises et de protections honteusement acquises.

Un sourire heureux m’étirait les lèvres, en entendant chanter la graisse sous la cagna d’où montait une légère fumée bleue. Lousteau nous