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tionnées que le moins modeste en était incommodé.

La littérature était son unique préoccupation, il ne vivait que pour elle, c’était à la fois sa maladie et son amour ; il lui restait toujours des bouts de poème dans la tête, comme des brins de tabac dans une poche de fumeur et, un matin d’attaque, comme le chef de section faisait passer : « les grenadiers en tête, attention, c’est l’heure », petite phrase d’un sens précis qui excluait toute idée de rigolade, on l’avait entendu murmurer d’une voix chevrotante :

« Tiens ! un alexandrin… »

Pourvu qu’il eût quelqu’un à qui parler du dernier livre de M. Max Jacob ou des jeudis de Mme Aurel, il supportait toutes les infortunes, et quand il avait rejoint, dans un débit du cantonnement, un des secrétaires du colonel, le sergent infirmier et trois soldats du bataillon qui s’intéressaient au mouvement littéraire, il se trouvait aussi heureux, discutant avec eux, le Bulletin des Écrivains à la main, que naguère, à la terrasse de la Closerie des Lilas, quand devisait pour sa jeune cour le séduisant Paul Fort, dont la voix s’accordait aux flons-flons de Bullier.

Lorsque le régiment était en ligne, il lui arrivait de traverser tout le secteur, ses rues de boue et ses boyaux repérés, simplement pour retrouver, dans son gourbi, un de ses trois amis et s’entretenir un instant avec lui des plus récentes mutations de Montparnasse ou lui communiquer le dernier numéro de Sic.

Grâce à cette obsession, à cette paire d’œillères,