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grande guerre, tel qu’on l’aimait dans les illustrés.



Jamais on ne ricana tant à la 5e compagnie que le jour où Jean de Crécy-Gonzalve, relevé de son emploi, revint sans aucun enthousiasme reprendre sa place sur la paille commune du gourbi. Ceux qui, la veille encore, lui faisaient des sourires larges comme une pièce à une culotte, pour lui demander de rapporter du tabac, les journaux, du chocolat, des sardines, de la moutarde, tout un chargement de baudet qui le faisait suer sur son guidon et déraper dans les virages, ceux-là mêmes se livrèrent à de fines plaisanteries lui demandant « pourquoi que t’as démissionné », lui proposant leur assiette d’aluminium pour s’en faire un monocle, se livrant à des considérations générales sur « les gars qui jouent tellement bien aux c… qu’ils finissent par gagner »et se mettant tous d’accord pour conclure que « c’était bien le tour du poète à en roter ».

Ceci ne pouvait d’ailleurs se prendre que dans un sens figuré, car, même dans la tranchée, tout cuirassé de boue et rasé de l’autre semaine, Jean de Crécy-Gonzalve restait parfaitement homme du monde, mettant une sorte de singulier point d’honneur à être d’autant plus distingué que la situation se prêtait peu aux belles manières.

À la soupe, pendant que le caporal distribuait le vin avec une précision de droguiste, le poète minaudait, faisait des politesses, susurrait des « après vous, cher ami » en éloignant son quart,