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gardait ce spectacle affligeant en hochant sa longue tête désolée.

— Que diable sommes-nous venus faire ici, mon cher monsieur ? confia-t-il à son caporal.

Lorsqu’on lui dit de prendre sa pioche pour aller remettre la tranchée en état, il répondit d’un air désabusé :

— Estimez-vous que ce soit vraiment nécessaire ? Ces gens-là vont certainement recommencer.

« Ces gens-là » c’étaient les Prussiens d’en face. Bien qu’il les méprisât un peu — à cause de leur art, d’une application sans grâce — il n’eût jamais consenti à les traiter familièrement de Boches ou de Fritz et, quand il parlait d’eux, il disait cérémonieusement « messieurs les Allemands », ce qui avait le pouvoir de mettre les copains de son escouade dans une fureur abominable.

Après ce premier séjour aux tranchées, il comprit que son éducation l’avait insuffisamment préparé aux travaux de terrassement, et il intrigua pour trouver une meilleure place.

On le rencontra avec le caporal muletier de la mitraille, qui aimait le vin bouché ; il demanda des marraines pour tous les secrétaires du colonel et il parvint à faire croire au sergent infirmier, auteur d’une romance saugrenue sur l’air du Temps des Cerises, qu’il avait un grand talent et qu’il se chargeait de faire publier ses vers dans la plus grande revue de Paris, laquelle s’appelait quelque chose comme le Thyrse enrubanné ou bien la Houlette fleurie.