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LE POÈTE SOUS LE POT DE FLEURS


Il est certain que si l’inaptitude au combat avait constitué un cas de réforme, on l’eût renvoyé dans ses foyers dès le premier jour de la mobilisation. Rien qu’à le voir entrer dans la cour de la caserne, son sac de voyage à la main, un numéro du Mercure de France sous le bras, puis mettre son monocle sans aucune affectation et chercher d’un regard le factionnaire pour lui demander « où se tenait monsieur l’officier chargé de la réception des hommes de troupe », le commandant du dépôt aurait dû comprendre que ce garçon-là était d’une valeur militaire absolument nulle et que mieux valait s’en débarrasser tout de suite. On pouvait lui tondre les cheveux ras, lui donner un pantalon rouge avec une cotte bleue, une cravate réglementaire, un sac orné d’une pelle-bêche, un fusil et trois cartouchières pleines, on pouvait même pousser l’expérience jusqu’à lui faire serrer sa jugulaire sous le menton et mettre baïonnette au canon, il n’en resterait pas moins rigoureusement civil, uniquement poète, et incapable de jamais mériter les galons de caporal, quand bien même la guerre durerait cent ans.

Il avait une perception si singulière du monde