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en allemand, et tous tournés vers les territoriaux se mirent à rire aux éclats. Grandjean, susceptible, fronça les sourcils.

Mahieu, moins subtil, regardait toujours le seau de vin avec convoitise, tout en s’épongeant le front. Il fit ensuite claquer sa langue sèche, ce qui se comprend dans tous les idiomes, et n’y tenant plus il demanda à son blessé, en lui montrant le seau :

— Il n’y aurait pas moyen, des fois ?.. C’est qu’il fait soif. Et comme je t’ai donné ce qui me restait de café…

Le prisonnier, qui s’était confortablement assis sur un tas d’herbes sèches, étendant sa jambe endolorie, le regarda avec un doux sourire :

— Impossible, mon bon vieux. Je regrette, mais il y a juste nos parts, surtout qu’il va en arriver d’autres, vous avancez si vite… Moi je ne demanderais pas mieux, mais les camarades ne voudraient certainement pas, tu comprends ? Il se tailla une large tranche de pain, sortit une sardine de son bain d’huile avec la pointe de son couteau et tout en mâchant sa première bouchée, il continua :

— Vous n’avez pas de veine, toi et ton copain… Il faut que vous retourniez vous mettre ça en première ligne, c’est moche. Je vous plains, mes pauvres gars, surtout que notre artillerie va vous bombarder dur, je vous préviens. Tous les points ont été repérés d’avance, et il est arrivé du 305 autrichien qui vous retourne des abris à dix mètres sous terre… Le massacre, quoi. Ah ! vous allez en baver…