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Sans perdre nos défauts, perdant nos avantages,
Nous briguons en bâillant le beau titre de sages.
La jeunesse elle-même, éteinte dans sa fleur,
S’agite sans ivresse, et jouit sans chaleur.
Ce fleuve, qui jadis arrosoit la prairie,
N’est plus qu’un filet d’eau dont la source est tarie ;
Et l’on voit de son or le luxe dégoûté,
Gager des malheureux, pour rire à son côté.
Fous ténébreux et vains, qui n’aimant que vous-mêmes,
Des rêves de vos nuits composez vos systêmes ;
Catons prématurés, qui, froids calculateurs,
Cherchez des vérités dans l’âge des erreurs ;
Vous qui, dans vos boudoirs, sur l’ouatte et la soie
Savourez les langueurs où votre ame se noie,
Et changez chaque jour, pour seuls amusemens,
De chiens, de perroquets, de magots et d’amans ;
Compilateurs pesans ; toi, cruel moraliste,
Qui crois consoler l’homme, en le rendant plus triste ;
Peuple immense de sots, de mollesse hébété,
Poëtes sans esprit, et catins sans beauté,
Honoraires bouffons ; toi, frélon inutile,
Qui dévores le miel que l’abeille distile ;
Vous tous, qui variant vos lugubres travers,
Chacun, pour votre compte, ennuyez l’univers ;
Dansez… sortez du cercle où l’on vous emprisonne ;
Répandez sur la vie un sel qui l’assaisonne.