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le dauphiné.

— C’est là qu’il est.

— Qui ça ?

— Lesdiguières.

— Tiens ! je le croyais dans les Hautes-Alpes !

— Non, me répond cet homme savant, tout d’une traite, ainsi qu’en une leçon depuis quarante années apprise, non, Lesdiguières — et Dieu me pardonne, je crois qu’il ôta son bonnet — Lesdiguières avait fait préparer, de son vivant, dans l’ancien manoir de ses aïeux, un superbe tombeau où il reposa pendant près de deux siècles. Ce tombeau fut transféré à Gap en 1798. Toutefois, le cercueil resta au château paternel, qui depuis longtemps déjà était passé dans la maison de Tallard, jusqu’au moment où un allié de la famille Bérenger le transporta ici en 1822. Car vous savez sans doute, monsieur, que la première femme du maréchal fut une Bérenger.

— Et que sa seconde femme fut une Marie Vignon, ajoutai-je d’un air suffisant, pour lui prouver que mon ignorance, si grande qu’elle apparut, avait cependant des bornes.

— Ne parlons point de celle-là, répliqua-t-il vivement, elle fait tache dans sa vie !

Et mon érudit, en signe de protestation contre cette mésalliance, rajusta son bonnet.

C’est à l’entrée, près des fonts baptismaux, qu’une plaque de marbre noir, sans inscription, marque la place du dernier connétable.

La place, mais la place seule, car il n’est pas sûr du tout qu’il y soit, lui, le connétable. L’Isère débordée envahit à plusieurs reprises les dalles de la chapelle ; elle a fouillé dans les tombes, et si profondément qu’il se pourrait fort bien que les cendres de François de Bonne, entraînées par les eaux, s’en fussent allées à travers champs boucher la bonde d’une barrique de vin, supposition qui dans ma bouche pourra paraître irrespectueuse, tandis que dans celle de Shakespeare, à qui je l’emprunte, elle passera, au contraire, pour un modèle de haute philosophie, de logique et de bon goût…

À moins que les fées n’aient enlevé notre connétable ?…

Les fées hantent Sassenage. Chacun sait ça.

Des battements d’ailes se précipitent autour de vous ? Ne cherchez point : ce sont les fées.

Des murmures confus, des appels, des rires… ne cherchez point. Les fées, toujours les fées…

Voisinage dangereux, semble-t-il. Pas du tout.

Ces fées sont de bonnes fées. Elles n’ont rien de commun avec les brownies écossaises qui, si on a le malheur de prononcer leur nom, ouvrent les entrailles de la terre pour vous engloutir ; elles n’ont rien de commun avec les fairies, avec les vouivres qui portent au front une escarboucle lumineuse attirant les voyageurs dans le précipice…

Non, les fées de Sassenage sont de bonnes fées, proches parentes