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le dauphiné.

Et enfin, par-dessus tout, ce pur joyau gothique et Renaissance qu’on appelle le Palais de justice !

Mais ce n’est point cela, ce n’est point cette merveille, ce ne sont point les sculptures de Paul Jude ou de Richier qui font de Grenoble l’unique !

Non, ce n’est pas l’homme qui la fit belle. C’est sa montagne, c’est sa plaine, c’est son Isère coulant rapide le long des prairies de l’Ile-Verte…

C’est ce Rachais qui la protège de son éperon armé en forteresse ; c’est le Saint-Eynard — et cette trouée du Col de Porte vers la Chartreuse, une bande de ciel bleu riant dans les sapins.

Et c’est la chaîne titanique des hauts sommets : Belledonne, casquée de neiges, le seul Taillefer, et l’Obiou chauve, et le Grand-Serre, et le Conex… Et derrière ces roches, d’autres roches encore, le chaos — du mont Blanc au Saint-Bernard et au Thabor !…

Des grisailles et des verdures à flots. Le Drac, sur son lit de graviers rèches, le Trièves, le mont Aiguille pyramidal, le Grand-Veymont — et plus près de nous les poussées du Villard-de-Lans, le Moucherotte et le Vercors onduleux, derniers soubresauts des grandes Alpes, qui viendront mourir en Provence…

C’est de tout cela que Grenoble est belle.

Et tout cela, ni pinceau, ni plume ne le peuvent rendre.

… Au moment où j’écris, le soleil traîne son filet aux mailles phosphorescentes dans les glaciers étagés ; le Graisivaudan s’élargit sous la lumière, tend ses jardins et ses champs sous cette pluie d’or qui tombe ; l’Isère semble de platine entre les peupliers fuyants… Les escarpements contre lesquels la ville s’appuie s’enlèvent en reliefs fauves. Une route monte à travers chalets et maisons peintes, accrochés aux pentes.

Le gros village de la Tronche a poussé là, en pleins vignobles. Et quels vignobles ! « Il ne s’agit pas d’aller à la Tronche, répètent les gantiers, aux soirs de fêtes, il s’agit d’en revenir ! » En revenir solide sur ses jambes — et ça n’est pas facile avec ce satané clairet qui aurait eu raison de Bassompierre lui-même.

Enfin on en revient toujours, tant bien que mal. Quand les pieds refusent, restent les genoux et les mains. On va moins vite, mais c’est plus sûr.

La petite église s’ouvre sur une place solitaire, dominant le paysage mollement arrondi. Pauvre, cette église, vide — et pleine pourtant, pleine du nom d’un grand artiste qui, se souvenant de son pays, lui donna un chef d’œuvre.

Au-dessus du maître-autel, sous les vitraux qui laissent tomber un jour éteint, Hébert a placé sa Vierge de la Délivrance. D’une beauté profonde, magnétique. Brune comme les Italiennes du peintre de la Mal’aria, avec des yeux si grands « que le visage disparaît dans l’ombre de leur cernure ».