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le dauphiné.


de l’assistance alimentaire qui permet de servir des repas substantiels pour la somme invraisemblable de douze sous !

En flâneur, par les rues étroites, obscures, tortueuses, datant du moyen âge, et les percées larges, régulières des nouveaux quartiers. Un arrêt place Grenette, au centre de la vie locale, des affaires, en un tohu-bohu d’omnibus, de diligences, de breaks, de fourgons de toutes tailles et de toutes formes. Chaque bourg de la plaine se trouve représenté par quelques-uns de ces fantastiques véhicules. Il en est de vert pomme, d’amarante et de rouge ponceau ; il en est de ventrus, il en est d’efflanqués, aux antiques ressorts grinçants et pleurards…

Et caisses, paniers, sacs et cages à poules s’entassent en dômes sous les lourdes bâches. Des paysannes en bonnet tuyauté, en fichu de couleur croisé sur la poitrine, des paysans en complet de velours à côtes, des maquignons en blouse avec le fouet à la main, tous s’entassent, jambes entremêlées, dans l’intérieur. Une odeur saine de pipe, de fromage et de souliers fatigués s’épand… Hue ! – et tout ça s’en va cahoté, à grand bruit de grelots et de « n. d. D… » amples, sonores comme des cris de guerre !…

Le département est sillonné de chemins de fer ; il n’est pas de village un peu cossu qui ne possède sa gare… Qu’importe, la patache résiste et durera jusqu’à la mort du dernier Dauphinois. Parce que, si commode, si accueillante, si bonne enfant, la patache ! Si loin de ces règlements qui font de chacun de nous, voyageant dans un wagon, une sorte de colis étiqueté, classé, numéroté, bousculé !

Paternelle, la patache !

Vous êtes en retard, elle vous attend. Allez donc dire au mécanicien de la locomotive d’en faire de même !

Vous avez un paquet à prendre sur votre route, des obligations d’impérieuse nature à satisfaire, la patache s’arrête, docile. Allez donc dire au chef de convoi de s’arrêter !

Enfin qui donc, si ce n’est elle, recueillera le cher ivrogne, épave de la nuit !

La patache n’a point d’heure pour partir ; elle n’a point d’heure pour arriver. Elle part quand elle est pleine, elle arrive le lendemain, s’il le faut. Ça n’a pas autrement d’importance.

Tandis que le train, toujours pressé, souffle, crache, siffle, plein d’orgueil, symbole de la vie enfiévrée, jamais satisfaite, metteur en œuvre impitoyable de l’atroce formule anglaise : time is money, la patache nous reporte aux âges heureux où « la petite maison blanche avec des contrevents verts » était le rêve des plus exigeants. Elle ignore la précipitation, la patache ; elle va son bonhomme de chemin, dandinante sur son essieu. Les chevaux dorment, le cocher dort, tout le monde dort, et, miracle journalier, jamais on ne verse.