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le dauphiné.

au moins, vous vous étonnez de quelque chose. Vous dites que c’est beau, mais vous voyez quelque chose, tandis qu’eux, ils voient rien du tout ! Des fois les brouillards sont si épais, qu’on irait serrer la patte à un ours en croyant embrasser sa femme !… Ah ! non, vous savez, je vous le dis, j’en ai assez de ce métier-là ! C’est la Beauce qu’il me faut maintenant, une grande terre qui se voit bien en entier. Jamais besoin de monter…

Puis, après un silence, il ajouta, en secouant la tête, cette phrase, résumé de tout son amour profond, instinctif, pour la montagne :

Vallée du Graisivaudan. — L’Isère et la Dent de Crolles.

— N’empêche que quand je serai bien vieux, c’est encore ici que je viendrai mourir…

… Nous passons près du Saint-Eynard et de son fort.

On le contourne, ce Saint-Eynard, bedaine grise, pelée, pauvre vieille carcasse calcaire qui s’effrite, s’éboule, laisse après chaque averse des lambeaux de sa peau.

— Ah ! nom de chien, attention aux rigoles ! s’écrie le cocher. Pan, à gauche ! pan, à droite ! La voiture boite. Si l’essieu pliait, nous irions dans le Graisivaudan piquer une tête.

Mais l’essieu ne plie point. Au petit trot nous suivons le chemin dans ses pentes et ses courbes. Un autre fort : le fort de Bourcet.

Et maintenant se déploie toute la vallée — de l’Isère aux confins de Montmélian. Des villages, des hameaux accrochés, juchés partout, jusque sur les pitons et les schistes en saillies.

Belledonne écrase ce panorama de son poids. Plus loin, le mont Blanc, en un fond de gloire, se lève, seul, empereur des Alpes !