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le dauphiné.

blotante, projeté par la lampe suspendue au plafond, des ombres passent…

Les Pères s’en viennent aux offices des matines. Lente procession en clair-obscur, vision blanche qui s’éteint sous les voûtes.

Ils sont maintenant en chapelle, les uns près des autres, serrés, ayant devant eux le pupitre, avec le livre des psaumes, qu’une seule bougie éclaire. Et les psaumes commencent. Tantôt assis, tantôt prosternés, mains et front sur la dalle. Et dans leurs coules de laine, on dirait des marbres couchés.

Prières sur rythme de plaintes, chants d’agonie et de mort — mais d’une mort qui se fait calme, accueillante, douce, pour qu’on aille à elle sans peur…

Sans peur… C’est bien cela qui les caractérise. Ces grands désabusés ne sont pas des désespérés. Ils ne sont pas tristes.

Dans sa cellule, où me reçoit, quelques instants plus tard, le dom coadjuteur :

— Je vous en prie, me dit-il, aidez à couper court à cette sotte légende qui nous veut voir, chaque nuit, creusant notre tombe. Tenez, regardez-moi, ai-je donc l’air si abattu ?

Non, certes, pas abattu ! Elle rit toujours, sa bonne et franche figure ronde, striée de fibrilles roses sur les joues.

Nous causons longuement :

— Ce cloitre qui vous effraye, c’est une joie complète, assurée. Vraiment, nous ne saurions trop remercier Dieu : il nous donne le bonheur sur cette terre, alors qu’il ne nous le doit que dans le ciel. Vous ne vous imaginez point combien la vie devient facile quand elle est, comme la nôtre, réglée jusqu’en ses moindres détails. Nous ne nous ennuyons jamais.

— Oh ! jamais !…

— Jamais.

— Pas de regrets ?

— Pas de regrets.

— Et les passions, les désirs ?…

— Oui, au début. Très durs, les débuts ! On lutte. Et quelles luttes ! Mais le démon vaincu, finies les luttes. El la prière aidant, et le travail… La prière, surtout, elle est notre grande force contre le mal ; les macérations et le jeûne ne viennent qu’après. Prier, prier !… Et quand on a prié, prier encore, prier toujours ! Si vous saviez quelle paix profonde, sans restrictions, presque l’absolu dans la béatitude… Si vous saviez que tout cela vient de la prière !… Mais vous le saurez, je le veux…

— Moi !

— Je veux que vous fassiez une neuvaine… Vous me le promettez ?…

— Bien volontiers. Vous aurez en ma personne un retraitant plein de bon vouloir, à défaut de croyances bien vives… hélas !…

— Ça suffit, me répond-il vivement. Allons, au revoir, à bientôt !

Et la main tendue :