« En ce lieu, Bruno désigna sa demeure, et n’ayant là aucune cellule, il demeurait dans les pertuis des rochers avec ses six compagnons : Landuin, natif de Lucques, deux chanoines de Saint-Rufin, appelés Étienne, un prêtre, nommé Hugues, et deux séculiers, nommés André et Guarin. »
La Chartreuse fut gratuitement concédée par ses propriétaires, Humbert de Mirabel, son frère Odon, et Seguin, prieur de la Chaise-Dieu.
On a rétabli l’acte de donation, approuvé par le pape :
« Considérant la fragilité des choses humaines, Humbert et Odon de Mirabel et Seguin, voulant racheter leurs péchés et changer les biens corporels pour les biens célestes, cèdent à maître Bruno et aux frères qui sont venus avec lui pour se livrer à Dieu, en habitant la solitude, un vaste désert dont les confins descendent jusqu’aux bords du Guiers. Ils frappent d’anathème, comme coupable de sacrilège, toute personne qui enfreindrait cette donation, la séparant de la communion des fidèles et de la grâce de Dieu et la vouant au feu éternel avec Dathan, Abiron et le traître Judas. »
Il n’y eut d’abord en ce lieu que quelques cabanes. Mais bientôt la communion s’étendit. Alors vint s’imposer la charge d’édicter des statuts qui, jusqu’ici, vu le petit nombre de fidèles, ne s’étaient encore conservés que par traditions.
Ces statuts, rédigés par le prieur Guigues, prescrivent le silence, l’isolement, les réunions au milieu de la nuit, à fin de prières, les jeûnes rigoureux et fréquents, un seul repas par jour, depuis les ides de septembre jusqu’à Pâques, et, durant la sainte semaine, la nourriture réduite au seul pain et à l’eau.
Et dom Guigues, après avoir ainsi réglé l’administration spirituelle et temporelle de l’ordre, le mode d’élection des généraux, les rapports à entretenir avec les visiteurs et retraitants, ajoute :
« Maintenant que notre œuvre est finie, nous ne permettrons jamais aux femmes d’entrer dans notre enceinte, car nous savons que ni le sage, ni le prophète, ni le juge, ni l’hôte de Dieu, ni ses enfants, ni même le premier modèle sorti de ses mains n’ont pu échapper aux caresses ou aux tromperies des femmes. Qu’on se rappelle Salomon, David, Samson, Loth et ceux qui ont pris des femmes qu’ils avaient choisies et Adam lui-même, et qu’on sache bien que l’homme ne peut cacher du feu dans son sein sans que ses vêtements soient embrasés, ni marcher sur des charbons ardents sans se brûler la plante des pieds. »
Cette défense est absolue. En 1418, le Chapitre condamne un Supérieur à quitter le siège durant trois mois, pour avoir permis à une reine de visiter le Chapitre. Et la sentence ajoute : « Qu’il prenne garde à ne point faire cette chose derechef ! »
L’autorisation seule de la Cour romaine peut ouvrir les portes du cloitre à la grande ennemie de l’homme.
Il en est quelques-unes, cependant, qui parvinrent à pénétrer, sous l’habit masculin. Mais que de bruit quand on s’en aperçut ! Quels graves