Page:Donnet - Le Dauphiné, 1900.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
le dauphiné.

autrefois à recevoir les prieurs qui, des différentes provinces de l’ordre, se rendaient au Chapitre. Ainsi s’expliquent ses noms : salles d’Italie, d’Allemagne, de Bourgogne, de Provence, d’Aquitaine, de Picardie, etc.

Décrire le long cloitre en ogives unissant toutes les parties du bâtiment, et l’église, et la chapelle des morts, élevée sur la place même où avaient été ensevelis les restes des premiers anachorètes, et le cimetière, et l’Oratoire fondé par Louis XIII, et la bibliothèque riche de 20,000 volumes… À quoi bon ? à quoi bon redire des choses déjà tant redites !

Dans le pavillon du Général, on voit tous les portraits des supérieurs depuis saint Bruno.

Au moment de la terreur religieuse, les Chartreux abandonnèrent la France, emportant, chacun avec soi, un des portraits. La tourmente finie, chacun vint reprendre sa place et rapporter le sien. Ceux qui moururent durant l’exil avaient pris leurs mesures pour que le dépôt dont ils s’étaient chargés ne s’égarât point. Et de fait, aujourd’hui, aucun ne manque à la collection.

Sous les arcades brunies par le temps, le long de ces immenses corridors gothiques, humides, noirs d’ombre, s’ouvrent les portes des cellules. Et les cellules sont tout ce que tient à voir le visiteur. Seules, elles l’aideront à pénétrer un peu dans la vie de ces hommes qui les habitent.

Toutes pareilles, toutes avec deux escaliers, l’un pour monter à l’étage, l’autre pour descendre aux sous-sols.

La partie supérieure se compose d’un grenier ; la partie intermédiaire, d’une chambre à feu près de laquelle est disposée une sorte de cabinet de travail. La chambre à coucher est attenante ; son ameublement ne comprend qu’un prie-Dieu, un lit avec une paillasse et des draps de laine.

L’étage inférieur contient un atelier muni d’outils de tour ou de charpente. Chaque cénobite peut donner deux heures par jour à quelque travail manuel et une heure à la culture d’un jardin. C’est la seule distraction qui lui soit permise.

Et pas un changement à cette règle n’a été apporté depuis les huit siècles que le couvent existe.

Ce fut en l’année 1084 que Bruno, chancelier de l’église de Reims, prit la résolution de quitter le monde. Il se rendit auprès de saint Hugues, évêque de Grenoble, qui lui indiqua, pour retraite, le désert de la Chartreuse.

« Il y a au Dauphiné, au voisinage de Grenoble, dit la Chronique du dom Pierre Dorlande, un lieu affreux, froid, montagneux, couvert de neiges, environné de précipices et de sapins, appelé par d’aucuns Cartuse et par d’autres Grande-Chartreuse. C’est un ermitage fort ample et étendu, mais habité seulement par des bêtes et inconnu des hommes pour l’âpreté de son accès. Il y a des rochers hauts et élevés, des arbres sylvestres et infructueux, et la terre est si stérile et inféconde qu’on n’y peut rien semer ou planter.