Page:Donnet - Le Dauphiné, 1900.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
le dauphiné.

Voiron, protégée par la Grande-Sure et les rochers de Chalves, qui se haussent derrière elle en paravents. Voiron, largement ouverte sur le Midi, retenant d’un seul regard toute la vallée de l’Isère.

Voiron, tête de ligne du chemin de fer de Saint-Béron, aux portes de Chartreuse, à travers l’ensauvagement des gorges du Crossey et de Chailles.

Voiron, où vinrent au monde l’historien Claude Expilly, le général Rambeaud, tué au siège de Saint-Jean-d’Acre, le maréchal Dode de la Brunerie…

Voiron grandit chaque jour. Ses toiles, ses tissus de soie, ses fers, ses papiers et ses liqueurs lui assurent la première place.

Elle a des fabriques se succédant à presque se toucher, et c’est par plusieurs millions qu’il faut chiffrer sa main-d’œuvre. Elle a des avenues, des promenades et des places spacieuses. Elle a voulu aussi avoir un monument et n’y a guère réussi avec son église dédiée à saint Bruno, réminiscence vague du xiiie siècle, gothique anglais, froid, triste, criardement neuf… Çà et là pourtant quelques jolis détails, une chaire assez finement sculptée, un autel à bas-reliefs… Mais quelle horreur de voûtes peinturlurées de vert tendre ! Et ces piliers, de même peinturlurės !… Et si on tordait un peu le col aux architectes qui badigeonnent de la sorte nos cathédrales !

La Morge, en face, traverse toute la ville. Quand elle est de bonne humeur : — Parfait… Allez la voir quand les pluies la tourmentent : elle vous enlève un pont comme fétu et passe à travers murailles plus facilement qu’un clown dans un cerceau de carton !

L’année dernière, certain grand escalier la gênait : elle le balaya d’un seul bloc ; un bazar lui montrait une façade d’une insuffisance esthétique sans doute trop accusée : elle l’éventra d’un seul coup de vague. Elle a empierré les chemins, déraciné les arbres, raviné les maisons…

Et la gueuse est maintenant satisfaite. Elle chemine assagie entre ses berges hautes, cependant que des équipes d’ouvriers tâchent encore à réparer les dégâts causés par son irascible caractère.

Il faut dire que cette dure Morge ne s’est jamais bien entendue avec sa voisine. Pourquoi ? On peut se le demander, car enfin Voiron est de bonne souche. Voiron date de Charlemagne, et il n’est pas souvent donné à un cours d’eau d’avoir l’honneur d’arroser une cité remontant si loin dans les âges.

Sait-on qu’en 800 il y avait déjà, au pied de la Vouyse, une habitation rurale qu’on appelait Sarmorenc ?

Sarmorenc vécut jusqu’au xie siècle. Il vécut petitement, chétivement, mais fier, sans jamais rien demander à personne. Et il aurait pu vivre longtemps encore, si la lutte ne s’était ouverte entre l’archevêque de Vienne et l’évêque de Grenoble. Le bourg fut détruit. Ses habitants vinrent alors se grouper autour du château de Voronum. Et Voiron devait naître de là.

Ville étrange, en ces temps, bien elle-même et pleine de l’esprit moyen âgeux.

Reconstituer ce passé sera besogne simple. Nous avons affaire à des