Page:Donnet - Le Dauphiné, 1900.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
le dauphiné.

les routes, économisant les plus petits gains, la femme, les enfants et les vieux gardent la maison, soignent les vaches et les chèvres, teillent le chanvre, vivent lentement ces longues journées grises…

« L’industrie et le travail du Dauphinois fournissent un grand nombre de marchands, écrivait déjà, en 1637, un géographe. Ces marchands vont se répandant par toute la France, avec leurs paquets et boutiques portatives, où ils gagnent leur existence qu’ils font semblant de quester, et reviennent parfois très riches[1]. »

« Ce bien péniblement acquis est défendu avec âpreté et, quand chacun est attentif à surveiller ses droits, la dispute n’est pas loin.

« Les habitants de Grenoble et de Gap n’emploient leur esprit qu’aux procès qui sont leur occupation[2]… »

Et Malte-Brun ajoute :

« Si le citadin se ressent davantage des rapports de la province avec le Midi, qui l’avoisine, le paysan et le montagnard, par une bonhomie qui n’exclut pas la finesse et la ruse, semblent se rapprocher du Normand. Ainsi que la Normandie, en effet, le Dauphiné est le pays de la chicane. »

Et c’est aussi le pays de la solidarité. La misère est grande : on s’unira pour lutter contre elle. Au fond de ces sombres entonnoirs où siffle le vent du Nord, la vie, dit Michelet, n’est rendue supportable que par le bon cœur du peuple.

Le baron de Ladoucette, qui a fait de l’Alpin une étude approfondie, à l’époque où les mœurs de ce dernier étaient encore bien conservées (en 1802), cite des exemples d’assistance presque admirables.

« Dans l’arrondissement de Briançon, les veuves et les orphelins ont le droit de faucher leurs prairies trois jours avant tous les autres et ils ne doivent que la nourriture aux ouvriers pour leurs travaux champêtres. Leur maison est-elle à réparer, à reconstruire ? Les habitants font gratuitement le transport de leurs matériaux…

« Dans l’arrondissement d’Embrun, si un père de famille est privé de ses enfants, et que, malade, il ne puisse ramasser sa récolte, le maire et le curé annoncent sa position ; après les offices du dimanche, hommes, enfants vont dans ses champs et coupent ses grains. Si une pièce de bétail s’estropie dans un pâturage, la perte en est répartie entre tous les habitants. Autrefois, après un incendie, les consuls et les curés se concertaient sur les moyens de secours les plus efficaces ; on allait de maison en maison recueillir les offrandes, qu’on portait aux administrateurs des villages incendiés ; les malheureux n’étaient pas obligés de solliciter la

  1. F. Ranchin, Description générale de l’Europe.
  2. Avant la Révolution, quand les enfants avaient passé un an ou deux chez un procureur à mettre au net des exploits et des appointements, leur éducation était faite, et ils retournaient à la charrue. (Champollion-Figeac.)

    Il est absolument contre la nature du Dauphinois d’être dupe, écrit Stendhal. Et un vieux proverbe ajoute qu’il faut « trois Français pour tromper un Grenoblois, et trois Grenoblois pour tromper un Briançonnais ».