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le dauphiné.

Chemin gagnant sous les feuilles, près des buissons qui vous retiennent, grinchus, par les basques de votre habit. Tout un paysage de couvercles de bonbonnières, cadeaux pour jeunes filles… tout cela frais,
La Silve-Bénite.
limpide, azur et gris perle, délicatesse de tons si ténue que, durant trente années, l’école lyonnaise y puisa ses motifs les plus souvent reproduits.

Et c’est en ce décor Watteau que se lève, cinquième acte d’une idylle qui finirait tragiquement, la gigantesque ossature d’une tour blanchâtre délavée par les pluies, carcasse monstre, château fantôme où Edgar Poë aurait placé sa Ligeia.

On zigzague à travers champs. On est près des hauteurs d’enceinte. Le donjon se profile, debout, solide sur sa base rocheuse. Vieux mutilé dont il n’est que jambes. Le reste, toits et voûtes, s’est effondré. Des piliers et des amorces d’arceaux voulurent résister quand même ; mais ils finirent, eux aussi, par se coucher, fatigués. Et dans cet intérieur de ruines sur ruines, la vie du dehors ne pénètre plus maintenant
Le donjon des Clermont-Tonnerre.
qu’en de rares brèches, qui bâillent dans l’épaisseur des murs comme des mâchoires vides.

Elle appartint aux Clermont-Tonnerre, la forteresse moyenâgeuse, aux illustres Clermont-Tonnerre, premiers barons dauphinois. Richelieu, que ce nid d’aigle gênait, donna le coup de sape — et de l’énorme machine féodale, il ne resta bientôt que ce qui dure encore aujourd’hui et que les oiseaux nocturnes seuls connaissent.

Mais il faut redescendre. Quel enchantement ! Larges échappées sur le lac, panorama mêlant, si intime, le ciel à l’eau, qu’on ne saurait point où commence le ciel, qu’on ne saurait point où finit l’eau, s’il n’y avait, pour trancher l’incertitude, la gamme verte des frondaisons étagées sur les bords…

Un ruisseau rigole, timide, dans son lit étroit, si étroit qu’il semble