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le dauphiné.

émerger d’un bain de suie. Des couloirs étroits, avec des pavés gibbeux, des bornes, des fontaines en pyramides, qui ont l’air de points d’exclamation jetés…

Tout ce fouillis de Cour des miracles débouche sur le quai, en face de l’ancien pont de Sainte-Colombe, le plus vieux des Gaules, à en croire la chronique. C’est en 1407 que ce vénérable patriarche fut détruit.

« Le fleuve, rapporte Nicolas Chorier, s’étant débordé outre mesure par des pluies continuelles, la chute commença par celle de la troisième arche, suivie bientôt par celle des deux autres qui lui étoient contiguës. Cet accident vraiment funeste arriva à onze heures du matin, le 11 février. Il fut précédé et accompagné de quelques prodiges qui d’abord causèrent beaucoup d’étonnement et après beaucoup d’admiration : on entendit courir et hennir des chevaux sur le pont, la nuit, avant qu’il fût renversé ; on ouït sur le minuit des murmures, des voix et des gémissements étranges ; on vit un taureau, d’une grosseur merveilleuse, qui fit quelques tours à travers la place de Sainte-Colombe et disparut incontinent ; quelques cloches sonnèrent d’elles-mêmes ; on remarqua encore qu’une croix de pierre, ayant suivi la chute de l’arche sur laquelle elle étoit dressée, demeura quelque temps sur l’eau et presque suspendue dans l’air, comme si elle eût refusé de souffrir le destin de ce pont et de se noyer avec lui.

« On fit des quêtes pour couvrir les dépenses nécessaires à la réédification ; on établit des redevances, des jeûnes, des dispenses ; de grands dignitaires quittèrent leurs maisons pour aller de ville en ville, de lieu en lieu, solliciter la libéralité et la charité des peuples. »

Et le pont fut reconstruit : il croule en 1571. Et le pont fut encore reconstruit : il croule en 1617. Et toujours reconstruit : il recroule en 1635, en 1647, en 1651.

On le remplace par un bac à traille, qui fonctionne jusqu’au mois de mai 1828, époque à laquelle un câble de suspension est jeté. Lequel câble se brise par le milieu en 1840. Aussitôt relevé, réparé avec soin, il paraît maintenant solide, quand tout à coup ses puits d’amarre se descellent. Douze personnes tombent dans l’eau ; trois périssent.

Enfin la série des malchances devait s’épuiser. Il y eut une nouvelle et dernière restauration, qui nous donna le pont tel qu’il existe encore aujourd’hui.

Non loin du Rhône, au milieu du délabrement des rues en crochets, la cathédrale Saint-Maurice lève au ciel ses deux tours. Œuvre de cinq siècles, transition du gothique fleuri au style Renaissance, que le capitaine des Adrets mutila. Ses soldats abattirent la plupart des statues qui ornaient la façade et les portails ; les fenêtres furent brisées à coups d’arquebuse, et les tableaux sacrés et les archives devinrent la proie des flammes.

Saint-Maurice, la gothique, à côté de Saint-André-le-Bas, la romane, que fonda un duc de Bourgogne.

Et Saint-Pierre, dont la disposition des murs, décorés de deux étages