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le dauphiné.

sentinelles, l’entrée des magnaneries… et il est des bois de chênes qui se collent, ainsi que des chevelures, aux frontons des coteaux.

Chabeuil, dans les blés, n’est qu’un gros bourg tortueux, où il n’y a rien que vieilles murailles fistuleuses ; mais Chabeuil est aux portes du Royannais, de Sainte-Eulalie, de Saint-Jean-en-Royans, de Rochechinart, la forteresse où fut confiné, en 1484, le malheureux Djem, frère de Bajazet II, livré par celui-ci au roi de France ; Chabeuil, grâce à ces voisinages, est destiné à prendre une place de plus en plus importante dans les itinéraires de touristes.

Échappons à ces itinéraires sur commande et gagnons la Drôme, la vraie Drôme. Déjà le soleil, se croyant en Provence, nous menace d’insolation, les routes broient la lumière en poudre fine et c’est une kyrielle de côtes pelées qu’il faut gravir — et c’est la vallée du Rhône qui se développe, du nord au midi, depuis les gorges de Tain et de Tournon jusqu’aux cimes coniques de Montélimar, dans l’ampleur apaisante des champs coupés de lignes de peupliers.

Sur une de ces collines pelées a poussé Livron, cramponné aux interstices comme avec des crocs de fer. Il y a là encore des ruelles étroites aux maisons maçonnées en torchis, cuirassées de grilles. Mais ces vieux trous féodaux sont maintenant abandonnés ; toute la ville se réfugie au bord des cunettes dérivées de la Durance, dont les eaux ont changé les conditions agricoles du pays.

Livron, boulevard de la Réforme en Dauphiné, a sa page d’histoire. Cette page est peu connue et pourtant mérite de l’être ; il n’en est guère de plus glorieuse. La voici, d’après Chorier :

« Le 19 décembre 1574, le maréchal de Bellegarde, à la tête des troupes catholiques, vint mettre le siège devant ses murs.

« Le capitaine de Roësses commandoit la petite place avec quatre cents hommes de garnison, tandis que les assiégeants comptoient dans leurs rangs quatorze compagnies de gardes, onze enseignes de suisses, douze d’arquebusiers dauphinois et vingt-deux pièces de grosse artillerie. La garnison fit deux sorties vigoureuses, qui néanmoins n’empêchèrent pas l’armée royale d’avancer et les canons, durant deux jours, foudroyèrent la place, qui n’avoit qu’une seule pièce de campagne. Les assiégés ne se laissèrent pas décourager par la supériorité des forces qu’ils avoient à combattre, et pour railler l’ennemi, ils dressèrent au bout d’une pique, plantée sur une brèche, un rébus parlant : c’étoit un fer à cheval et des gants, allusion au maréchal de Bellegarde qui ne devoit pas s’attendre à prendre le chat sans gants. Le 26 décembre, à la suite d’un assaut pendant lequel on vit les femmes combattre sur les murailles à côté des soldats, les assiégeants furent repoussés. Le roi Henri III voulut se joindre à ses troupes, et, le 13 janvier 1575, faisoit recommencer le feu au milieu des imprécations proférées par les Livronnais qui lui crioient :

« Hau ! massacreurs, que venez-vous chercher ici ? Est-ce pour nous