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le dauphiné.

— Oui, monsieur.

Et ces deux fois, j’ai eu raison de répondre ainsi.

Le Champ de Mars, qui domine le Rhône, dépasse en superficie la place de la Concorde ; les boulevards, les avenues aux monumentales constructions blanches, sont assez larges pour permettre aux charretiers d’évoluer en quadriges… Et passé ces boulevards, passé ces avenues, nous voilà tâtonnant dans des venelles d’un précieux tour féodal, des impasses restées ce qu’elles étaient lors de la visite du roi Charles VIII : maisons crasseuses et déjetées, portes à cintres bas et murs à poutrelles…

Singulière situation, observe justement M. A. Dumazel : Valence est assise sur un grand fleuve, en vue de belles montagnes, riches de vignes et de vergers, et elle tourne le dos à ce paysage d’où pour elle vient la vie. Le Rhône appelle en vain les habitations, ses rives demeurent désertes ; toute l’existence de la ville, jadis concentrée autour de la cathédrale, se porte maintenant sur les grandes voies qui ont remplacé les fortifications.

La cathédrale, dédiée autrefois à saint Corneille et à saint Cyprien, aujourd’hui à saint Apollinaire, consacrée le 5 août 1095, par le pape Urbain II ; la cathédrale, reconstruite au xie siècle, avec ses trois nefs et sa colonnade d’abside, minces faisceaux si frêles qu’on s’attend à les voir plier au moindre souffle.

Et en sortant, sur les pavés disjoints, recouverts d’herbes, près d’une petite place, blottie entre de hautes murailles noires, voici ce délicieux édicule de la Renaissance élevé par les artistes italiens et connu, à cause de la forme de sa voûte, sous le nom de Pendentif. « Longtemps les savants discutèrent sur sa destination ; il paraît certain maintenant que c’était le caveau funéraire de l’ancienne famille de Mistral dont les armes : de sinople au chevron d’or, chargées de trois trèfles, sont sculptées en médaillon. »

Et, en face, dans la cour de la propriété Dupré, ce nouveau petit chef d’œuvre Renaissance : une porte conduisant vers une cage d’escalier, ciselée comme une pièce d’orfèvrerie. Délicieuses figurines d’un maniérisme à la Boucher, racontant l’histoire d’Hélène, de son frère Castor et de sa mère Léda, groupe voilé dont deux satires viennent soulever les draperies ; plus loin, le berger Pâris, en manteau de velours, debout devant Jupiter qui le choisit pour juge du différend survenu entre Vénus, Junon et Pallas…

Et la Maison des Têtes, du xvie siècle, frappée de bustes en ronde bosse d’un exquis travail de pierre !…

 

La plaine de Valence se ramasse entre le Rhône, droit, rapide, roulant sur des grèves sableuses ; les roches de l’Ardèche, avec, suspendu comme un rideau de fond, le tranchant bleuâtre des chaînes du Vivarais — et vers l’est, les montagnes de l’Isère, les granitiques entassements du Vercors. Les pentes se multiplient, quasi insensibles ; les vignes sabrent de vert les terres rouges ; les mûriers, dépouillés de leurs feuilles, gardent, fantomatiques