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le dauphiné.

« Et il advint qu’aux maux des sièges se joignirent encore, cette année, dit Nicolas Chorier, les calamités d’une saison désastreuse.

« Des pluies abondantes, après avoir ruiné les moissons, firent naître une quantité de chenilles qui infestèrent les habitations, sans qu’il fût possible de parer à cet incommode fléau. On s’épuisa vainement en inutiles combinaisons, lorsqu’enfin les hommes sages crurent avoir rencontré un salutaire expédient. Le grand vicaire cita les chenilles à comparoître devant lui. Elles furent condamnées à vider incontinent le diocèse. Tardives à obéir, on lança contre elles anathèmes et excommunications, mais vainement : les chenilles demeuroient en leur obstination. Alors, deux jurisconsultes et deux théologiens méditèrent une longue consultation dans laquelle ils pensoient que les voies de la douceur devoient seules être mises en œuvre en une aussi délicate matière, et qu’il seroit sage d’user envers les chenilles d’un peu de tolérance, en les adjurant et aspergeant d’eau bénite. Longtemps après, les chenilles disparurent, comme il a coutume d’arriver, et les clairvoyants imputèrent leur disparition à prodige, bien que le miracle fût un peu tardif… »

Enfin, Henri IV assure la paix, qui ne sera plus alors troublée que par l’édit de Nantes, dont la rupture enlèvera à la ville le tiers de son chiffre.

Franchissons deux siècles…

En 1788, on pouvait voir, se promenant souvent au bord du Rhône, un petit homme, au teint olivâtre, aux cheveux noirs plaqués sur les tempes. Ce petit homme, c’était le sous-lieutenant Napoleone Buonaparte, du régiment d’artillerie de la Fère. Il habitait une modeste chambre, Grand’Rue, No 4, vivait fort retiré ; à peine, en de rares intervalles, deux ou trois amis : le commandant Josselin, M. de Montalivet et M. de Tardiva, ex-abbé de Saint-Ruf.

C’est chez ce dernier qu’un jour il rencontra Mlle Grégoire du Colombier, dont il ne tarda point à devenir amoureux.

Mais il n’avait pas le sou ; maigre noblesse, maigre grade.

Il aurait fallu vraiment le don de prescience de la sibylle Lenormand pour deviner que ce jeune officier, qui paraissait poitrinaire, serait bientôt empereur des Français et roi d’Italie. Aussi quand il adressa à la famille une demande en fiançailles, fut-il toisé des pieds à la tête et reconduit vers la porte, tambour battant.

Et quelques mois plus tard, Mlle du Colombier perdait la couronne d’impératrice en devenant Mme de Bressieux, soit la femme d’un honnête hobereau, assez riche, qui la rendit heureuse avec beaucoup d’enfants.

Bonaparte eut un assez fort chagrin ; et puis, somme toute, comme il avait d’autres préoccupations plus importantes que le mariage, il se remit aux mathématiques — et oublia.

Il resta trois années au régiment de la Fère et partit en laissant une dette de 3 fr. 50 chez son pâtissier, nommé Coriol.

« Ajoutons que, malgré le changement qui s’opéra dans sa fortune,