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le dauphiné.

En attendant que de nouvelles lumières vinssent, touchant la vérité de leur mission, les trois complices vivaient largement.

Marion et Nanon résidaient à Parménie ; quant à Dubia, le prophète, il n’y venait que rarement.

Mais quels transports quand il gravissait la colline sacrée ! On baisait ses pieds, on baisait ses mains, on déchirait ses vêtements pour en tirer des amulettes, car il rendait la parole aux muets, l’oreille aux sourds, la vue aux aveugles. Il promettait à ses fidèles une vie heureuse de dix siècles et la naissance d’un Messie que Nanon devait enfanter. Plus encore : il vendait des places de Paradis et assurait contre les risques de l’enfer !

Cette prodigieuse farce dura vingt-cinq années.

Elle aurait pu durer cinquante, soixante années… si la justice, enfin émue, ne s’était décidée à envoyer la sainte famille attendre la venue de son messie dans une prison spécialement ouverte pour escrocs…

« Tout ce pays est imprégné de mysticisme », dit M. Lacroix. Est-ce bien « mysticisme » le mot exact ? Est-ce bien le sentiment substitué à la raison, le cœur seul atteignant l’infini et se mettant en rapport avec Dieu ? Est-ce bien la vie réduite à la contemplation passive ?

N’est-ce point plutôt une sorte de réalisme de croyance : la précision, l’ « humanisation » des concepts religieux ?

Il y a déjà ici un peu de l’Italie. Il faut, en matière de foi, des images nettes, des formes tangibles, parlant aux sens. Somme toute, un fétichisme supérieur.

Voyez, près de Parménie, Notre-Dame-de-l’Osier, dans le même plantureux décor normand :

En 1649, le jour de l’Annonciation, un huguenot coupait des branches de saule. Sa stupeur fut grande en constatant qu’à tout coup de serpe le sang jaillissait des pousses détachées. Il fait part de ce phénomène à ses voisins. Ceux-ci lui reconnaissent une origine céleste. Aussitôt la nouvelle se répand dans la province. Les donations affluent ; en quelques mois, un sanctuaire s’élève à l’endroit où le miracle s’est affirmé.

Cependant le huguenot, seul témoin de ce miracle, ne se convertit pas. Et c’est alors qu’un soir, la sainte Vierge, sous les traits d’une belle dame vêtue de bleu, lui apparaît :

« Misérable, s’écrie-t-elle, c’est toi qui as coupé les tiges de l’osier. Pense à te convertir, autrement tu seras un des plus grands tisons de l’enfer ! »

Devant pareille menace, le parpaillot abjure au plus vite.

Et cette nouvelle encore se répand, les donations se multiplient, le sanctuaire devient si riche que Mgr de Genouilhac oblige ses fondateurs « à entretenir des prêtres séculiers et des élèves destinés à la garde des autels ».

On conserve toujours dans l’oratoire l’étendard de soie qui symbolisa le prodige. Cet étendard, admirablement brodé, suivit plus de cent combats, jusque sous les murs de Constantinople.