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le dauphiné.

mémoire d’un évêque du vie siècle qui délivra le pays d’un énorme dragon, mangeur de jeunes filles.

Et l’auberge chez Isnel ? Maigres liesses pour les fins de gueule ! Mais quel large appétit engoulant pêle-mêle du jarret de cochon, de la tête de cochon, du pied de cochon, du fromage de cochon et l’omelette finale !

Ainsi sustentés, nous pouvons élargir d’un œillet la ceinture, bourrer la pipe — et quitter Saint-Véran en promenade.

On glisse dans l’herbe jusqu’aux genoux ; on suit le Guil dans sa gorge.

Ristolas.

Seigneur ! où suis-je ? mes yeux me trompent, devenus le jouet de quelque mirage !

Je viens de voir une ville, une vraie ville, ici, à 1,550 mètres ! Un château, un parc, deux châteaux, trois châteaux, des chalets à tourelles, à mansardes, à girouettes, à vérandas, des grilles de fer forgé, Seigneur, et des fontaines ornées de guillochis !… Et aux portes de ces résidences alibabesques, je vois des rocking chairs qui balancent de gros gentlemen en veston blanc et de respectables dames au corsage cerclé de chaînes d’or… Je fais quelques pas : une élégante charrette anglaise, traînée par une paire de poneys, manque de m’écraser. Encore étourdi, je me jette de côté, quand j’entends le Danube bleu, qu’une demoiselle, en robe de mousseline rose, joue sur un piano qui pourrait bien être à queue. Et cela finit par m’affoler…

Je croyais trouver une auberge où j’aurais mangé à mon aise, devant un verre de clairet, mon morceau de cochon entamé, le malin même, à Saint-Véran — et je ne sais par quelle magie me voilà transporté au milieu de palais ?