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le dauphiné.

Après une douzaine de stations, la voiture trace des zigzags inquiétants ; elle va verser… elle verse…

— As pas peur, dit le vieux. J’en ai vu bien d’autres !

Je crois devoir observer :

— Que vous en ayez vu d’autres, je n’en disconviens pas… Mais le fossé est là, à cinq centimètres de la roue, et…

— As pas peur ! Hue !

Et coups de fouet, coups de canne de pleuvoir… Hue !

La pauvre bête veut protester, essaye d’une ruade. Hélas — les ans en sont la cause — elle ne peut exécuter que la première figure de son mouvement de révolte ; la deuxième figure s’achève à terre — à plat ventre.

Quels efforts pour la remettre debout ! Quand on la tire à droite, elle retombe, flasque, à gauche. Le vieux hurle, tempête, vocifère, pour finir — le vin aidant — par pleurer à chaudes larmes.

Enfin, victoire, Belle Rosse est d’aplomb sur ses antiques jambes.

Et nous courons — ma parole, je crois que nous courons ! — à travers un réseau serré de collines, près de la Bièvre, qui semble immobile sous les ajoncs — et fuit pourtant, jolie, moirée, noire d’ombre…

Tout à coup mon ivrogne tend le bras, très fier, et ce seul mot sort de ses lèvres :

— Aoste.

Un gros tas de maisons, en rond, autour de l’église paroissiale, coiffée d’ardoises. Des routes se détachent, jettent leur note grise sur le vert des vignes et des prés. Des fermes bâillent sur ces routes, des odeurs fortes montent des écuries ouvertes — et dans la rue, que le fumier gagne, les poules, haut juchées sur la paille, grattent, attentives, les canards barbotent, les oies s’en vont par lentes théories, dandinantes et solennelles.

Cette abondance de volaille assure la richesse du pays. Aux quatre foires d’hiver, il n’est que gloussements et cocoricos ! Un bon chapon gras, arrosé de bon bourgogne, rien au monde de mieux. Mais le chapon gras mangé, mais le bourgogne bu, à ce moment exquis du cigare qui facilite les digestions, on éprouve le besoin de parler, de se répandre. Parlons d’Aoste, si vous le voulez, Aoste la Romaine, que fonda Auguste.

La petite colonie dura-t-elle jusqu’à l’arrivée des Barbares ? De nombreuses inscriptions sont là pour en témoigner. Et il y a autre chose que des inscriptions… Devant la porte du Musée se dresse une pierre qui servit d’autel à sacrifices ; à quelques pas, git un rectangle de feldspath, détaché d’une nécropole voisine.

En 1848, la pioche découvrait une voie très large qui portait, tenace, l’empreinte des ornières dans lesquelles roulaient les chariots. Quelques années plus tard, un nouveau coup de pioche ramenait au jour une centaine de vases de terre, de formes massives, échantillons complets de l’art céramique aux premiers siècles.