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le dauphiné.

légions, des gouverneurs de province, des intendants de l’empereur, gens d’un esprit ouvert, d’un goût éveillé, ont franchi les Alpes sans éprouver d’autres sensations que l’ennui et l’effroi. Ils auraient été fort surpris d’apprendre que des milliers de voyageurs iraient un jour admirer ce spectacle qui leur semblait si rebutant. On n’allait guère alors dans les Alpes par curiosité. Avant de passer le Gothard, on adressait un vœu à Jupiter, pro itu et reditu, et le poète Claudien dit que lorsqu’on apercevait les glaciers, il semblait qu’on avait reconnu la Gorgone, tant on était épouvanté. » (Gaston Boissier.)

Le fait est que, en présence de la Meidje, il est presque pardonnable d’avoir peur.

La Meidje domine, hypnotise la Grave, l’entraine dans un tourbillon de vertige. On ne voit plus qu’elle. Ses névés viennent droit à vous, « semblent heurter aux vitres des maisons.

« Rien de plus éclatant, de plus formidable. On dirait d’un chaos lumineux qui veut entrer. L’effet ne serait pas plus grand, si un astre, tout à coup, touchait la terre elle-même et la foudroyait de lumière. »

Cette chaîne, la plus haute du Pelvoux, après la Barre-des-Écrins, se présente sous deux aspects absolument différents, selon qu’on la regarde du versant nord ou du versant sud.

Là-bas, une muraille dont le faite surplombe.

Ici, une suite de pics élancés, d’arêtes aiguës, parois aux roches vives. Trois brèches noires, que la glace recouvre par longues traînées, comme un fleuve « saisi au passage, pétrifié »…

L’histoire de ses ascensions est courte. « La première ne remonte qu’à 1877. Un grand nombre de grimpeurs avaient échoué jusque-là devant ces escarpements prodigieux ; tous avaient dû reculer presque au début. » C’est à M. Boileau de Castelnau et à son célèbre guide, Pierre Gaspard (un vieillard, maintenant, à grosse face criblée de poils gris, mais encore solide, comme un jeune homme, sur ses héroïques jambes), que revient l’honneur de la victoire, victoire remportée au prix de dangers innombrables.

Ils partent le 16 août et, après des gymnastiques diverses, arrivent devant une coulée de granit verticale.

Que faire ? Redescendre. L’alpiniste s’entête. Il veut sa Meidje et il l’aura… Il passera. Et il va passer, et il va se casser le cou, quand Gaspard, à bout d’arguments de haute sagesse :

« Eh bien, il ne sera pas dit que je vous aurai laissé. Puisque c’est votre intention de continuer, je ne vous quitterai pas. Nous monterons, mais nous ne redescendrons plus. »

Comment s’y prirent-ils pour s’agriffer ?

Demandez au singe, demandez à l’oiseau.

Enfin, ils approchent. Un effort encore, et le triomphe lorsque, à une dizaine de mètres de l’aiguille finale, un nouvel obstacle les arrête.