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le dauphiné.


juste 10,000 écus, gardez-vous d’aimer une reine. Notre gentilhomme n’écouta point ces sages conseils. Il assaillit sa dame de sonnets, de rondels et d’épitres.

Celle-ci lut cette volumineuse anthologie et la trouva bien — la trouva même si bien qu’elle commit l’imprudence de le lui dire. Voilà Piraud dans l’apothéose de ses désirs : il aime et il est aimé !

C’était un homme aux décisions promptes que ce poète dauphinois et très pratique, quoique poète.

Faire des vers à une jolie femme, les lui envoyer, et recevoir de cette jolie femme des compliments sur ses rimes : c’est déjà quelque chose. Mais il y a mieux.

Un soir, dans son lit, au moment de s’endormir, Marie voit soudain se dresser devant elle une ombre ; cette ombre a un pourpoint rouge cerise ; cette ombre, c’est un homme — et cet homme, c’est Chatelard. Il met un genou en terre.

La veuve de François II était-elle de vertu si farouche, ou Chatelard si laid… Quel historiographe nous pourra renseigner ? La vérité est qu’on refusa d’entendre l’amoureux…

Un autre, plus prudent, s’en serait tenu là. Que croyez-vous que fit notre héros ? Huit jours après, il recommençait.

Et la reine, de plus en plus farouche, le faisait jeter à la porte.

Ce chassé-croisé aurait pu durer longtemps, si le bourreau n’avait pris tâche d’y mettre fin.

Le 22 février 1563, le pauvre Alcindor — terrible châtiment pour mince faute — marchait au supplice.

Il finit en poète. Avant de gravir les degrés de l’échafaud, il récitait les Discours de Ronsard. Et sur le billot, ses dernières paroles allèrent encore à la souveraine, aimée jusque vers la mort, par delà la mort…

… Nous avons quitté Bourgoin, le long de cette Bourbre attirante.

La route est droite. Ce sont de grosses fermes, des villages clairs au soleil. Les chiens jappent, les coqs chantent, les poules gloussent, les ânes braient. Les commères dépouillent le chanvre sur le banc, près de l’entrée.

La patache passe…

Elle passe, coupant les Balmes viennoises, une vague de roches qui court vers le Rhône, pour s’immobiliser près de ses bords, en de brusques jets de calcaires, à pic…

Elle passe près du lac de Moras, devant la seigneurie de Saint-Jullin où François 1er séjourna, devant Poisieu, devant Malins et son donjon…

Et soudain, voici qu’après un détour, une colline se lève, avec des murs et des arbres cloués à ses flancs.

Une vision de moyen âge : vieux monastères, vieilles chapelles, remparts encore menaçants, créneaux égueulés, restes d’ancienne baronnie —