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le dauphiné.

qu’on lui opposait. Il était cruel. Il le devint davantage, jamais ne trouvant ses exigences satisfaites.

Il avait des haines terribles.

Jean de Montrosier veut résister à sa puissance. Il le traque, le menace de mort. Ce dernier, prévenu par des amis fidèles, se réfugie dans l’église de la commanderie de Saint-Jean-de-Jérusalem.

L’asile est sacré ; il n’essayera pas de l’en arracher par la force. C’est par la faim qu’il espère le réduire. Il fait dresser un échafaud contre le portail. Tous les fidèles qui vont assister aux offices sont fouillés avec soin. Des jeunes filles, soupçonnées de porter sous leurs vêtements des provisions destinées à sa victime, sont mises nues sur la place publique et fouettées jusqu’au sang par le bourreau.

La fuite seule peut soustraire le peuple à ces infâmes traitements. Sept cents familles rassemblent leurs dernières hardes, et à pied, en plein hiver, à travers les neiges des hauts défilés, gagnent le Champsaur…

Cependant Luther approchait. Sa grande voix devait être comprise ici surtout, en ce pays d’exactions et de désordres.

Vers 1560, Guillaume Farel, infatigable, éloquent, propage la Réforme. Il prêche dans un vieux moulin abandonné, au bord de la Luye. On lui coupe la parole, on lui lance des pierres… Sans un mouvement de révolte, il persiste et rompt la défiance autour de lui. On l’écoute alors, on l’encourage à parler plus longtemps et mieux encore :

« Braves chrétiens, on vous vend la dispense des œuvres. Remettez l’argent dans vos poches. Dieu vous sauve gratis. Des œuvres, la seule nécessaire, c’est de croire en lui, de l’aimer. Quoi ! Dieu est mort pour vous, et il n’y aurait pas assez de sang d’un Dieu pour laver tous les péchés de la terre ! »

Bientôt le mouvement gagne, et vient le jour où le nouvel apôtre chasse les catholiques de la cathédrale de Sainte-Colombe.

Cependant les catholiques sont toujours les plus forts. Ils s’emparent de l’hérésiarque, le jettent au fond d’un cachot. Ses partisans le délivrent en le faisant glisser le long d’une corde contre les barreaux de la fenêtre.

Et c’est au tour des protestants d’être les plus forts. Ils se rendent vainqueurs des principales villes du Dauphiné. Gap est à eux, le 1er mai 1562.

Pas longtemps. Nos catholiques reviennent à la charge et triomphent…

Catholiques et protestants, protestants et catholiques. Gap passera aux uns et aux autres ; mais qu’il soit à ceux-ci, ou qu’il soit à ceux-là, ses habitants n’en continueront pas moins de mourir de misère, accablés de charges, ruinés par les longs assauts qu’ils soutiennent.

Et, comble d’infortune, voici que Lesdiguières intervient et mène énergiquement campagne.

Son premier siège dure près de deux ans, avec, il est vrai, une suspension d’hostilités de six mois. Nicolas Chorier raconte que pendant cette trêve les camps ennemis se visitaient volontiers.