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le dauphiné.

adoucis, ses Alpes qui semblent l’avoir laissé pour lui permettre de s’étendre plus à l’aise…

Gap est méridional par ses femmes brunes, aux lourdes chevelures relevées en casque sur leurs nuques ambrées… Méridional par l’accent, par le ciel, par les femmes – et par son histoire aussi.

Gap, le Vapincum de Grégoire de Tours, aux origines se perdant avec celles de Provence.

Annibal, dit-on, campa près de ses murailles. De Thou affirme, sans rire, avoir découvert intact le chemin suivi par les troupes carthaginoises. Pour un peu, il nous montrerait les ornières creusées sous le passage des chariots de combat.

Quand un historien se pique d’exactitude, il devient bientôt plus imaginatif qu’un romancier de profession. Laissons là De Thou et Annibal, et arrivons en des périodes mieux informées de la chronique gapençaise. Celle-ci est fidèlement rapportée dans le mémoire des luttes entreprises contre la puissance des évêques et des seigneurs.

Ces luttes, d’une durée de plusieurs siècles, resteront comme le plus bel exemple d’opposition à l’injustice et à l’arbitraire. Bien avant 1789, les bourgeois de la province revendiquent les « Droits de l’homme ». Jamais ils ne se laisseront volontairement dépouiller de leurs franchises et de leurs libertés. L’Église et le suzerain menacent, poursuivent : les fiers montagnards résistent encore. « Pas une seule fois ils ne négligent l’occasion de condamner les empiétements, fruits de la guerre ou des traités, dans lesquels à leur insu on trafique de privilèges qui doivent légitimement n’appartenir qu’à eux. »

Un des premiers évêques du diocèse de Vapincum fut Sagittarius, lequel, avec son frère Salonius, évêque d’Embrun, mena une existence peu ecclésiastique.

« Ils faisaient impunément leur proie des filles et de tous les biens que convoitaient leur volupté et leur avarice. » Et la volupté et l’avarice n’étaient point les seuls défauts de ces personnages sacrés. Ils en avaient encore une foule d’autres, tels qu’un orgueil illimité et un respect limité pour le bien d’autrui.

Monseigneur de Saint-Paul-Trois-Châteaux ayant commis l’imprudence de ne les point inviter à une réunion qu’il venait d’établir, nos deux bandits, froissés d’un pareil manque d’égards, s’y rendent quand même, en armes, suivis de quelques malandrins de leur garde d’honneur.

Ils font irruption dans la salle du conseil, tuent ou blessent prêtres et laïques, jettent, pêle-mêle, les meubles par les fenêtres, « après quoi se retirent, emportant la vaisselle précieuse et les objets d’art ».

Monseigneur de Saint-Paul-Trois-Châteaux n’eut rien de plus pressé, il va sans dire, que de se plaindre.

Mandés devant un concile, en 567, Sagittarius et Salonius sont déposés ; trois ans après, Jean III, montant sur le trône de saint Pierre, les rétablit,