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le dauphiné.

réserve, tandis qu’autour de lui fourmille la vie… un fouillis de hameaux fichés dans les blocs entassés : Saint-Pierre-de-Méaroz, Saint-Laurent, la Salle, Quet-en-Beaumont. Enfin Corps, au milieu d’une pétarade de roches, partant de tous côtés.

Une grande rue, comme à la Mure, encombrée de diligences et de carrioles ; et des hôtels abritant les pèlerins et les curieux.

Car c’est de Corps qu’il faut partir pour arriver au sanctuaire de Notre-Dame de la Salette.

Un sentier zigzague sur le coin de la montagne : on le suit en traversant le torrent du Gargas, encombré d’éboulis. Quelques arbres chétifs, quelques plaques de pâturages et plus rien. Plus de cultures : un sillon désolé. Le sillon s’élargit en cirque, se perd. Solitude immense, complète, désert sans herbes ; à peine, au ras du sol, une mousse, un lichen stérile et toujours flétri. On tourne un mamelon. Alors, sur un plateau, apparait la basilique. Elle est là, adossée aux cimes et protégée par elles.

« Et Durtal revivait aujourd’hui tous ces détails, revoyait devant lui la Salette en fermant les yeux.

« Ah ! fit-il, on peut les vanter, les pèlerins qui s’aventurent dans ces régions désolées et vont prier sur le lieu même de l’apparition, car, une fois arrivés, on les bloque sur un plateau pas plus grand que la place Saint-Sulpice et bordé, d’un côté, par une église de marbre brut, enduite avec les ciments couleur de moutarde du Valbonnais, de l’autre par un cimetière. En fait d’horizons, des cônes secs et cendrés de même que des pierres ponces ou couverts d’herbes rases ; plus haut encore, les blocs vitrifiés des glaces, les neiges éternelles ; devant soi, pour marcher, du gazon épilé avec des nappes de teigne en sable. Il suffit, pour résumer le paysage, d’une phrase : c’est la pelade de la nature, la lèpre des sites ! »

Durtal exagère.

« Et, au point de vue de l’art, sur cette minuscule promenade, près de la source captée par des tuyaux à robinets, s’érigent, à trois places différentes, des statues de bronze. Une Vierge accoutrée de vêtements ridicules, coiffée d’une sorte de moule de pâtisserie, d’un bonnet de Mohicane, pleure, à genoux, la tête entre ses mains. Puis la même femme, debout, les mains ecclésiastiquement ramenées dans ses manches, regarde les deux enfants auxquels elle s’adresse, Maximin, frisé tel qu’un caniche et tournant entre ses doigts un chapeau en forme de tourte, Mélanie, engoncée dans un bonnet à ruches et accompagnée d’un toutou de presse-papier en bronze ; enfin la même personne encore, seule, se dressant sur la pointe des pieds, lève, en une allure de mélodrame, les yeux au ciel.

« Jamais cet effroyable appétit de laideur qui déshonore maintenant l’Église ne s’était plus résolument affirmé que dans cet endroit… Devant l’obsédante avanie de ces indignes groupes inventés par un sieur Barrême d’Angers et fondus dans les usines à locomotives du Creusot, l’âme peut gémir… »