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le dauphiné.

manches retroussées jusqu’aux coudes… Et pan, pan, pan, un gros soulier sort de ses mains, cuir solide avec de gros clous à têtes camardes qui, aux pieds des rouliers, marqueront d’étoiles le sol des grandes routes.

Les prairies s’entassent et la vigne court dans les treillages comme des notes sur une portée de musique. Les chemins, au bord des ruisseaux, zigzaguent… Au hasard j’en prends un — et droit il me mène, en plein bois, au pied du Relong.

Ici fut la seigneurie de Fallavier. Il n’en reste maintenant qu’une double haie de remparts, deux tourelles et les fossés, larges et profonds, bâillant dans les hautes herbes. Fallavier, derniers vestiges du royaume bourguignon. Tour à tour à la famille de Boczosel, à Hugues de la Tour du Pin, au comte de Genève, au prince d’Orange, au beau Dunois — pardieu oui ! – pour finir, enfin, dépendance du domaine de la Couronne.

Au xvie siècle, Richelieu le démantèle.

Et depuis, Fallavier se terre dans l’oubli.

Un coin de Hollande que toute cette plaine ; les canaux se croisent, s’entre-croisent, font parler les moulins… Et la Verpillière, et Vaulx-Milieu s’éparpillent sur les coteaux. Et sur ces coteaux, encore, les vieux restes d’autrefois. Monbaly, avec ses tourelles en dômes et sa lourde porte frappée de caboches – et sa terrasse dominant la Bourbre.

Et la Commanderie des Templiers, bâtisse mastoc, taillée en plein granit.

Et des coteaux, des coteaux, des coteaux… la terre grasse, spongieuse, criblée de récoltes ; et dans les marais avoisinant les prairies, d’immenses étendues noires de tourbe.

Solide ossature jurassique, derniers soubresauts de ces hautes roches qui nous entourent – et dont on voit l’anatomie se dessiner au fond des nombreuses carrières ouvertes le long des routes.

Population aussi forte que le sol ; à la fois paysans et ouvriers. On moissonne, on fauche, on vendange, on trame le velours pour les grandes usines du Forez et du Rhône. Et plus nous avancerons, et plus nous verrons l’industrie locale se développer.

À Bourgoin et à Jallieu, ce sont des ateliers d’impression sur étoffes, des filatures, d’immenses fabriques où cotons et soies se transforment. Près de 3,000 métiers tournent sans arrêts.

Il n’est ici que tisseurs ; au village : hommes, femmes, enfants, tous tisseurs. Tous travaillent aux pièces ; leur carré de culture apporte au ménage le blé et le vin ; les deux noyers, devant la porte, donnent l’huile ; la vache, dans l’étable, donne le lait. Et voilà du vrai bonheur. Ça n’est pas plus difficile à trouver que cela, le bonheur ! Il suffit d’aller à Bourgoin.

Oh ! la bonne petite ville, bien tranquille, bien acagnardée dans sa province, avec ses bonnes petites rues bien étroites, ses bonnes petites vieilles sur le pas des portes, qui tricotent en disant le plus de mal possible de leur prochain ; ses bons petits cafés : le « Café du Commerce », le « Café des Négociants », « Au Rendez-vous des Amis », bons petits cafés