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le dauphiné.


Un roi de France t’aimera et t’estimera par-dessus tout, malheureusement les envieux empêcheront qu’il te mette aux grandes charges que tu auras méritées. »

Et c’est ainsi qu’il passa, le bon chevalier, modeste, presque pauvre — mais joyau resplendissant de la plus pure beauté morale.

Il fut grand de tout son cœur, par la bonté, par le sacrifice inouï de ses forces et de sa vie, à sa France
La gorge du Brėda.
et à son Dieu.

Il fut grand parce que, le premier, aux durs lendemains du moyen âge, dans ce métier horrible de la guerre, il mit un peu de justice et de pitié.

Le temps de s’indigner en passant devant une fort abominable statue en plâtre de notre guerrier, à cheval sur un roussin étique qui a perdu sa tête à la bataille — et donnez-vous donc la peine d’entrer : nous sommes au seuil de la vallée du Bréda ! La plaine, à nos pieds, se détache avec une netteté d’épure, en stries rêches de couleurs crues, d’un pointillisme grinçant.

La route s’élève entre deux montagnes boisées, parallèles au torrent. De larges entaillades grimacent dans les roches, laissant voir le glacier du Gleyzin qui les sépare de la Maurienne.

Et combien vert, de quelle verdure heureuse, exubérante, ce coin d’Alpes ! Allevard recroquevillée au milieu de ce cadre de sylve, « dans un lacis de petites rues noires, sur des cailloux pointus, serrés, veinés de soufre et de feu, où la voiture rebondit avec des étincelles, secouant les maisons basses toutes lépreuses, aux fenêtres garnies d’écriteaux, au seuil des boutiques de bâtons ferrés… Et derrière elle, au dessus d’elle, un cirque de cimes noires de sapins qui se nuancent, s’éclaircissent en montant avec des traînées de neiges éternelles, des pentes arides en regard de petites cultures qui font comme des carrés de vert, de jaune et de rose au milieu desquels les meules de foin ne paraissent pas plus grosses que des ruches d’abeilles. » ( Alphonse Daudet.)