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le dauphiné.

On l’accuse de trahison : un comité d’enquête l’interroge. L’ancien huguenot, blessé dans son orgueil, quitte l’armée et de nouveau se retire en son manoir de la Frette, où, « vieux, morose, misanthrope, il meurt seul le 2 février 1586 ».

De Thou l’a dépeint en quelques lignes, quand il le vit à Grenoble, peu de jours avant son expédition contre le duc de Savoie : « Il était alors fort avancé en âge, mais d’une vieillesse encore sorte et vigoureuse, d’un regard farouche, le nez aquilin, le visage maigre, décharné et marqué de taches couleur de sang noir, tel que l’on nous dépeint Sylla ; du reste, il avait l’air d’un véritable homme de guerre. Son âme vivait dans son blason : Impavidum ferient ruinæ.

Ce minotaure eut des fils. Tel père, tels fils, aussi emportés, aussi indomptables.

L’aîné, mort au siège de la Rochelle, était, au dire de Théodore de Bèze, l’un des plus vicieux jeunes hommes qui fussent en France. Et Claude, le second, en tous points pareil à son aîné. C’est lui qui, un soir, chargé par le roi d’aller mander le chancelier de l’Hôpital, répondit au ministre qui, en ce moment à table, remettait à plus tard l’entretien : « Comment faut-il hésiter d’un moment lorsque le maître commande ? Vite, qu’on marche sans excuse ! »

Et là-dessus, prenant une des extrémités de la nappe, il jeta à terre toute la vaisselle. Après quoi, il s’en alla satisfait — le chancelier de l’Hôpital le fut moins sans doute.

… Des Adrets à Goncelin, le chemin est court. Toujours à travers notre vieux Graisivaudan, entre la Chartreuse et Belledonne. Dominant la vallée, un château à la Mansard aligne sa face blanche, froide, sur une prairie en pente douce.

Le château de Tencin. Oui, Mme de Tencin elle-même, l’exquise aventurière, l’amie de Dubois et du Régent.

Si nous parlions d’elle ?

Son portrait : des yeux bleus, des cheveux noirs, jolie, plus que jolie… et pourtant avec quelque chose, je ne sais quoi, qui repousse, l’air oblique et fuyant. « On sent qu’elle n’est pas, ne sera jamais posée franchement, ni tout à fait assise, mais à moitié, de côté, de travers. Son fin visage est bas en même temps ; on devine une femme propre à tout, prête à tout, à qui on peut tout demander… »

Et, en effet, que ne lui a-t-on pas demandé ! Que n’a-t-elle pas donné ! Que n’a-t-elle pas reçu ! Sa vie : un roman qui manque à la Comédie balzacienne. Suivons-le.

À quinze ans, poussée par sa famille, elle prend le voile à Montfleury.

Quelle drôle de nonne elle va faire, la petite Claudine ! — et dans quel drôle de couvent !

Un couvent de Meilhac, où l’on a remplacé les vêpres par des concerts et les vigiles par des collations, des dînettes auxquelles la jeunesse à particule de Grenoble prend sa part. Les confitures des vénérables mères sont