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le dauphiné.

Oh ! que non, certes ; ses compatriotes, loin de le renier, lui font même remplir une tâche sociale importante. Il aide, paraît-il, encore avec succès à l’éducation de la jeunesse. On menace les enfants de sa colichemarde, comme on les menacerait de Croquemitaine et de Loup-Garou.

Tous sont à peu près unanimes à reconnaitre en ce très huguenot et très papiste seigneur l’un des monstres les plus brillamment organisés de l’époque moderne :

« Il surpassa en cruauté M. de Montluc lui-même, a dit Brantôme. On le craignoit plus que la tempeste qui passe par de grands champs de bled. Jusques là que dans Rome on appréhenda qu’il armast sur mer et qu’il la visitast, tant sa renommée, sa fortune et sa cruauté volloient partout. »

Le massacre de Vassy étant venu, vers 1562, donner le signal des luttes religieuses, Les Adrets se fait soudain protestant, en haine du gouverneur du Dauphiné, François de Guise, qui soutenait le catholicisme.

Il fond sur Valence, s’en empare, décapite Lamotte-Gondrin, commandant de la province, et, sans perdre de temps, suivi de ses bandes, il envahit, brûle, vole, écume, rançonne le Lyonnais, le Languedoc, la Provence, le Forez et le Beaujolais.

Les troupes régulières, surprises, osent à peine l’attendre pour combattre. Elles fuient « au seul vent de son nom ». Villes et châteaux forts se rendent. À ce moment, Les Adrets est à l’apogée de sa puissance. Il prend dans ses édits les titres de « lieutenant-général en Dauphiné, lieutenant de Mgr le prince de Condé en l’armée chrétienne assemblée pour la liberté et la délivrance du roi et de la reine, sa mère, conservation de leurs États et de la liberté chrétienne… ».

La liberté chrétienne ! À quelle sauce de tueries et de pillages il la sert, ô Dieu de paix !

Images saintes lacérées, églises rasées, les hommes passés au sabre, les femmes violées… Après le sac de Montbrison, ses défenseurs précipités du haut des remparts, et trois cents cavaliers « renvoyés en l’armée des ennemis, avec chacun un pied et un poing coupés… ». Petites surprises que réserve la guerre. Et l’excellent baron trouve ces petites surprises encore bien anodines :

« Je n’ai fait qu’user de représailles, déclare-t-il modestement ; j’ai rendu aux catholiques le mal pour le mal. Nul ne commet cruauté en la rendant. Les premières s’appellent cruauté, les secondes, justice. »

N’exagérons rien cependant. Les Adrets n’est pas un type unique en l’histoire. S’il fut un monstre, il y en eut d’autres à ses côtés. Blaise de Montluc a tué, lui aussi, empalé et brûlé ad majorem Dei gloriam. Il nous a laissé dans ses Mémoires le récit de ses belles actions. Et c’est édifiant !

Le « bon vieillard », comme l’appellent ses partisans, se glorifie de toutes les atrocités qu’il a commises. Il se juche sur un piédestal et se casse le nez à coups d’encensoir. Il est si convaincu de l’importance et de la beauté de