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le dauphiné.

vertueux capitaine qui, les mains jointes, priait avec tant de ferveur. Quelle malheureuse inspiration la poussa enfin à lever la tête vers lui ?

Elle recula aussitôt, très troublée. Le capitaine la regardait. Elle se terra dans un angle, derrière le maître autel : le capitaine la regardait ; elle revint près de la porte : le capitaine la regardait encore…

Cette persistance accusait le sortilège. Malgré son attitude chrétienne, le héros peint pouvait être, devait être quelque échappé de l’enfer.

La vieille n’hésita point. Elle traça un double signe de croix et aussitôt, d’un geste, à la volée, envoya le contenu de son écuelle au nez du dévot suspect, dont les deux yeux disparurent sous l’épaisse couche de mastic d’une bouillie de pommes de terre.

Après quoi, satisfaite de son opération d’exorcisme, la bonne femme se coucha, dormit tranquille et plus jamais ne fut effrayée par la présence du malheureux gentilhomme, désormais aveugle, légère infirmité qui ne l’empêcha pas, du reste, de continuer ses oraisons.

Après la suzeraineté des Aynard, la seigneurie de Domène passa aux mains des comtes de Genève, et puis à celles des comtes d’Arces, dont plusieurs membres ont été célèbres, entre autres Antoine d’Arces, qui promena ses entreprises « dans l’Europe entière », provoquant tous les porte-pennons aux hasards de la lance, de l’épée ou de la hache. Il mourut en 1517. Son petit-fils, Guy d’Arces, combattit, sous le nom de Livarot, avec Quélus et Maugiron contre Antraguet, Schomberg et Ribérac, lors de cette fameuse passe d’armes qui mit aux prises les six mignons d’Henri III.

Ah ! comme je le comprends mieux encore, mon galopin de tout à l’heure, qui avait un si beau mépris pour l’arithmétique et l’orthographe !

Dites-moi le moyen de ne pas faire l’école buissonnière en ce pays de joie ?… Et au fait, si vous ne m’en voulez croire, essayez-en vous-même ! Prenez un livre, un pinceau, un crayon — et, à travers champs, essayez de lire, de peindre ou de dessiner. Ma couronne contre la vôtre : qu’au bout de dix minutes, le livre ou le pinceau tombera de vos mains et que vous resterez-là, couché sur l’herbe épaisse, tout à ce bonheur complet de ne penser à rien, de ne rien voir — d’être une molécule perdue dans ce poème de matière !…

Je cherche, au hasard des souvenirs de voyages, de villégiatures, je cherche une Arcadie, une Bétique, supérieure, voire comparable, à cette longue dispersée de villages qui s’appellent Corenc, Meylan, Biviers, Saint-Ismier, Bernin (où est né le brave général baron Bourgeat, défenseur de Strasbourg en 1814). Je cherche et ne trouve pas ailleurs une telle poussée d’abondance. Des vignes et des mûriers plein le sol ; chaque année, double et triple récolte : le tabac, le maïs, le blé, la luzerne, le chanvre — et dans les fermes qui bordent les routes, dans les chalets épars, vissés au front des pentes, des magnaneries sont dressées. Les vers montent sur les tiges des colzas, et « déjà, par les fenêtres, on aperçoit les cocons suspendus aux ramilles ».